Suite à une crise dans son histoire d’amour avec Amandine, le Réunionnais Évariste embarque à bord du navire Marion Dufresne, pour accompagner une mission scientifique dans les terres australes et antarctiques françaises. Le coup de tête d’Évariste est motivé par son envie de fuite. Son malaise ne fera que s’accentuer au fil des révélations et péripéties de son séjour beaucoup plus mouvementé que prévu, sur l’île de la Désolation qui porte bien son nom.
Si Évariste (trentenaire dégingandé, grosses lunettes aux verres teintés) réussit à embarquer sur le Marion Dufresne, c’est à la suite d’un concours de circonstances (un désistement de dernière minute), même si quelques touristes accompagnent la mission scientifique. Comme moyen de fuite, il ne pouvait pas trouver mieux, car il n’a prévenu personne et son prénom n’est qu’un pseudo qui n’a rien à voir avec son nom réel. Il va progressivement réaliser que son besoin de faire en sorte que personne ne sache où il est n’était que momentané. Les circonstances vont l’amener à revoir sa position ou au moins à relativiser (il avait sans doute surtout besoin de prendre du recul, mais on ne saura pas grand-chose de sa vie avant d’embarquer sur le Marion Dufresne, puisque ces éléments n’apparaissent que sous forme onirique, y compris ce qui concerne Amandine, visible seulement à partir de la page 53).
Exploration
À Port-aux-français (PAF pour les initiés), Évariste s’intègre tant bien que mal à un groupe de 97 hommes et femmes qui vivent plus ou moins en vase clos. La communauté scientifique s’acharne à observer les effets sur l’environnement d’un monde qui se dégrade irrémédiablement. Le premier signe tangible en est la présence incongrue d’un iceberg observé avant l’arrivée à PAF. Mais ceux qu’Évariste côtoie l’incitent à ne pas se contenter de discuter avec les uns et les autres, même si ce sont des spécialistes. S’il ne profite pas de son séjour aux Kerguelen pour randonner et faire des observations personnelles, il passerait à côté de l’essentiel. Un certain Jonathan lui propose donc une expédition de trois heures aller et autant au retour. À partir de cette sortie, les choses vont se compliquer sérieusement.
Préservation de l’environnement, quoi qu’il en coûte
Sur cette base, les auteurs réussissent une fiction captivante qui va bien au-delà de cette observation du lent déclin des conditions de la vie sur Terre (quelle désolation). Bien entendu, la communauté scientifique aux Kerguelen observe les effets du réchauffement climatique ainsi que les conséquences de décisions bureaucratiques pour l’introduction d’espèces censées avoir un effet bénéfique sur l’île (exemple avec ces rennes introduits pour leur viande et que des chasseurs tentent désormais de décimer). Le scénario va jusqu’à poser des questions fondamentales, dont l’inventaire met en évidence sa surprenante richesse. Dans quelles conditions vivre pour préserver l’élément naturel de manière générale ? Que sommes-nous prêts à sacrifier pour cela ? Une communauté vivant en autarcie dans une région désolée comme l’île en question a-t-elle la moindre chance de s’en sortir sur le long terme ? D’ailleurs, peut-elle vraiment espérer rester isolée ? Et les scientifiques dans tout ça, où et comment se situent-ils ? Peuvent-ils se contenter d’observer ce qui se passe pour alerter l’opinion ? Concrètement, il apparaît de plus en plus clairement que nous avons les moyens d’observer ce qui se passe, mais pas ceux d’empêcher les multiples dégradations de l’environnement et donc de le préserver pour les générations futures. La conclusion montre que si certains sont disposés à certains sacrifices pour la « bonne cause », quoi qu’il en soit cela n’ira pas sans grincements de dents.
Une BD de qualité
Malgré quelques petites facilités, le scénario signé Appollo (qui a vécu à la Réunion et nous fait comprendre la relative proximité avec les Kerguelen) propose une succession de péripéties étonnantes, avec quelques belles surprises qui incitent à la réflexion, sur 8 chapitres et 96 pages. Au dessin, Christophe Gaultier développe un style assez personnel. Avec un trait charbonneux relativement épais, il ne recherche pas spécialement la séduction, mais rend bien les caractéristiques de ses personnages et surtout fait en sorte qu’on sente l’atmosphère particulière de cette île de la Désolation, avec ses paysages immenses et quasi désertiques, une faune issue essentiellement de l’océan et une flore des plus réduites. De tailles et formes variables, les vignettes contribuent par leur organisation (ainsi que par le choix des couleurs et des cadrages), à rendre compte des états d’esprits ainsi que de la progression dramatique de l’intrigue.
Critique parue initialement sur LeMagduCiné