Sûrement l’une des aventures les plus décevantes de Yoko Tsuno. Après un deuxième tome axé sur les légendes rhénanes, notre héroïne retrouve la civilisation cachée des Vinéens, alors qu’un forage pétrolier des terriens menace d’anéantir une base souterraine du peuple bleu. Le synopsis semble plutôt bon, l’aventure démarre sur les chapeaux de roues, et l’action jusqu’à la plateforme pétrolière de la Martinique est particulièrement bien rythmée.
Mais c’est lorsque nos trois héros se retrouvent sous terre que tout part de travers : pourquoi Khâny a-t-elle fait appel à Yoko ? On peut relire l’album dix fois, il n’y a aucune raison précise pour qu’une terrienne soit mêlée à cette intrigue purement viénenne : Khâny va devoir expliquer à Yoko (durant une trentaine de pages quand même !) le fonctionnement de TOUTE la base vinéenne, tandis que notre japonaise est particulièrement passive. Au passage, les personnages de Lhâna et Sylka, ces sosies vinéens qui rendent possible toute l’histoire, sont franchement une facilité de narration qui manque d’inspiration ...
La plus grande partie de l’aventure ressemble donc à une immense visite touristique des installations vinéennes, mais dont on a du mal à percevoir le but, hormis nous en mettre plein la vue. Si ce parcours à rebondissements permet à Roger Leloup de détailler de nouveaux rouages d’une civilisation secrète vraiment bien bâtie et attachante, on s’aperçoit que Yoko ne fait finalement pas grand-chose, hormis suivre une Khâny décidément bien trop parfaite.
Enfin, cet album brise beaucoup de codes tacites habituellement respectés par Roger Leloup lorsqu’il traite des Vinéens : ici, l’existence de la civilisation « cachée » est révélée à d’autres terriens au bout d’une dizaine de pages ! D’ailleurs toute l’intrigue tourne autour d’un projet pas très crédible de faire apparaître un continent Vinéen au milieu de l’océan, une sorte d’Atlantide revisité. Last but not least, le dénouement manque vraiment de consistance : Yoko et les Vinéens déversent dans l’atmosphère quelques gigatonnes de gaz ultrapolluants, un feu cyclopéen brûle sur la surface de la Terre pendant 24 heures, mais cela n’a pas l’air d’inquiéter grand-monde ...
Signalons aussi que le timing de l’intrigue pose des problèmes de cohérence : le dénouement montre une course contre la montre pour enrayer le projet de Karpan, mais Yoko trouve quand même le temps de se faire construire un arc et dix flèches (dont une seule servira, d’ailleurs). A ce propos, la salle cachée des enfants qui construisent les armes semble n’avoir aucune raison d’être, l’auteur n’explique jamais pourquoi ils sont là et ce qu’ils y font ...
Malgré tous ces défauts, Roger Leloup confirme son talent de dessinateur pour les décors et les panoramas : les dessins en demi-page de la plateforme pétrolière ou de la salle des vannes sont magnifiques. Il aime visiblement beaucoup sa civilisation vinéenne et prend un grand plaisir à nous en faire découvrir toutes les infrastructures. Son dessin des personnages est lui aussi plutôt bon, même s’il reste des imprécisions lorsque ceux-ci sont cadrés de loin, et les cheveux de Yoko présentent des problèmes de perspective sous certains angles.
Un album en demi-teinte, et des retrouvailles décevantes avec le monde des Vinéens. Heureusement, l’intrigue se conclut par l’annonce du retour de la civilisation vers la planète Vinéa, ou ce qu’il en reste ... la promesse de bien meilleures aventures !