La Fuite du cerveau
6.7
La Fuite du cerveau

BD franco-belge de Pierre-Henry Gomont (2020)

L’annonce fait l’effet d’une bombe : l’éminent physicien Albert Einstein s’est éteint à l’hôpital de Princeton, dans le New Jersey. Le docteur Stolz est chargé de l’autopsie. Une foule de journalistes attend impatiemment ses conclusions. Celles-ci, délivrées sous des flashs crépitants, sont sans appel : rupture d’un anévrisme situé sur l’aorte abdominale, précédemment diagnostiqué par un confrère. Le pathologiste vit peut-être son moment de gloire. Il répond aux questions fusantes des reporters avec un aplomb insoupçonné. Son directeur, qui l’estime modérément, en est le premier surpris. Qu’importe, Thomas Stolz retournera bientôt à son traintrain lénifiant : une femme acariâtre, un travail ingrat, quelques rondes amoureuses passagères auprès d’une jeune consœur neurologue.


Cette voie toute tracée, balisée comme la piste d’un aérodrome, va se voir contrariée par un geste fou : l’ablation et le vol du cerveau d’Albert Einstein. Le modeste docteur Stolz se rêve soudainement en aventurier. Au nom du progrès scientifique. Mais plus par pathétisme que par conviction. Pierre-Henry Gomont se délecte à le présenter, dans des vignettes imagées, comme un conquistador que seule la routine effraierait. Une image d’Épinal sur laquelle va pourtant buter une personnalité extraordinaire : Einstein lui-même ! Voilà le physicien théoricien ressuscité, amputé d’une partie de son crâne et prêt à suivre Thomas Stolz dans ses velléités expérimentales. Le chercheur le plus estimé du XXe siècle s’en remet entièrement à un pathologiste tout ce qu’il y a de plus banal, relégué dans les arrière-salles d’un hôpital où il n’exerce ses talents que sur « de la viande froide ».


L’association peut prêter à sourire. Elle fonctionne pourtant à merveille. Pierre-Henry Gomont parvient à entremêler la réalité et la fiction dans un récit irréaliste mais cohérent. La Fuite du cerveau suit un fil narratif passionnant, caractérisé par la poursuite du docteur Stolz par le FBI, et enrichi de propos secondaires qui ne paraissent jamais empruntés : l’anticommunisme primaire de l’agence fédérale, le comportement de prédation des paparazzis, la vie de famille, la faillibilité des diagnostics psychiatriques, les bornes éthiques de la recherche scientifique, la fascination à l’égard du génie humain, etc. Alors qu’ils cherchent à échapper au FBI, Stolz et Einstein trouvent refuge dans un asile dirigé par un savant peu scrupuleux, dont les manœuvres vont occuper, en bonne partie, la deuxième moitié de l’album.


Graphiquement, La Fuite du cerveau se montre à la hauteur des espérances. La structure inventive des planches, les dessins directs et hachurés, la pluralité des tons et l’harmonie de l’ensemble, dans une veine souvent humoristique, servent de marchepied idéal aux deux principaux protagonistes. Un pathologiste que sa femme, peu aimante, décrit comme un « boucher-charcutier » et une éminence scientifique qui s’échine, même après la mort, à faire avancer la recherche. Un binôme loufoque et terriblement attachant que Pierre-Henry Gomont place au cœur d’une histoire peu banale.


Sur Le Mag du Ciné

Cultural_Mind
8
Écrit par

Créée

le 17 oct. 2020

Critique lue 448 fois

5 j'aime

Cultural Mind

Écrit par

Critique lue 448 fois

5

D'autres avis sur La Fuite du cerveau

La Fuite du cerveau
LaurentProudhon
8

De toutes les matières, c'est la grise qu'on préfère

Si le retour de Pierre-Henry Gomont était des plus attendus en cette rentrée, c’est un retour en fanfare et en grande forme qui se manifeste à travers cet album placé sous le signe du burlesque. En...

le 8 nov. 2020

2 j'aime

La Fuite du cerveau
Ouaicestpasfaux
6

Manque de substance (grise)

Le plaisir de retrouver le dessin inspiré de PHG est intact mais il n'a malheureusement pas suffi à m'interesser à ces pérégrinations imaginées autour de l'histoire vraie du vol du cerveau du plus...

le 26 sept. 2021

La Fuite du cerveau
bm51chalons
8

Une chronique d'Alan - bibliothécaire

Une bande-dessinée aussi burlesque que touchante inspirée du célèbre savant Einstein et de son cerveau mystérieux. A découvrir d'urgence !

le 2 juin 2021

Du même critique

Dunkerque
Cultural_Mind
8

War zone

Parmi les nombreux partis pris de Christopher Nolan sujets à débat, il en est un qui se démarque particulièrement : la volonté de montrer, plutôt que de narrer. Non seulement Dunkerque est très peu...

le 25 juil. 2017

68 j'aime

8

Blade Runner
Cultural_Mind
10

« Wake up, time to die »

Les premières images de Blade Runner donnent le ton : au coeur de la nuit, en vue aérienne, elles offrent à découvrir une mégapole titanesque de laquelle s'échappent des colonnes de feu et des...

le 14 mars 2017

62 j'aime

7

Problemos
Cultural_Mind
3

Aux frontières du réel

Une satire ne fonctionne généralement qu'à la condition de s’appuyer sur un fond de vérité, de pénétrer dans les derniers quartiers de la caricature sans jamais l’outrepasser. Elle épaissit les...

le 16 oct. 2017

57 j'aime

9