Ce tome fait suite à La Ligue des gentlemen extraordinaires Century 3 2009 (2009/2012) qu'il vaut mieux avoir lu avant. Il comprend les 6 épisodes de la minisérie, initialement parus en 2018/2019, écrits par Alan Moore, dessinés et encrés par Kevin O'Neill, et mis en couleurs par Ben Dimagmaliw, avec un lettrage réalisé par Todd Klein. Il s’agit de la dernière histoire de la ligue des gentlemen extraordinaires. Le titre de cette aventure fait référence à La Tempête (1610/1611) de William Shakespeare (1564-1616).


Prologue I : au site de Kor en Ouganda, en 2009, Wilhelmina (Mina) Murray et Orlando font découvrir à Emma Night les bienfaits de la source de jouvence de Celle qui doit être obéit. Prologue II : dans la cité de We en 2996, Burt Steele et Satin Astro (en jetpack) sont poursuivis par 3 individus qui volent à leur poursuite. Steele se sacrifie pour que Astro ait le temps d'utiliser la machine à remonter le temps. Elle la déclenche et entame son voyage vers l'époque préréglée : 1958. En 2009, à Londres dans le quartier de Vauxhall, Jason King retrace les derniers événements majeurs à la nouvelle personne qui prend le poste de M au MI5 : l'avènement du Moonchild, le passage d'un inconnu (Orlando) dans les locaux du MI5, peu de temps avant la disparition d'Emma Night qui est partie en emportant plusieurs documents dont le Dossier Noir. Dans le désert autour de Kor, les trois femmes commencent leur périple de retour à pied, en se demandant où se rendre : Le Monde Éclatant mais elles ne savent pas trop l'accueil que leur réservera Propsero ? Le MI5 est à exclure d'office. Lincoln Island, la base de Jack Dakkar ? Elles optent pour cette dernière solution. À Londres, Garath (Marsman) et Satin Astro arrivent au club Drumm n Bassment. Masman utilise ses pouvoirs pour entrer et ils parviennent jusqu'à une porte indiquant un local électrique, qu'Astro ouvre. Ils pénètrent dans les locaux qui servirent de quartier général à l'équipe de superhéros Seven Stars. En consultant les journaux restés sur place, Satin comprend que deux de leurs équipiers sont morts : il ne reste que Jim Logan et Caroll Flane dont elle ne sait où ils se trouvent et Vull qu'elle décide de retrouver.


Emma, Mina et Orlando sont arrivés à un port, et Orlando est en train de parlementer avec deux soldats responsables du sous-marin Dugong. La discussion prend une vilaine tournure quand l'un deux lui met une main aux fesses. Elles s'approprient le sous-marin après que les deux soldats aient passé un sale quart d'heure : en route pour Lincoln Island. À Vauxhall, le briefing de M se poursuit : Jason King fait son exposé devant lui et devant les agents J 1 à 6. King explique que des agents ont interrogé des associées d'Emma Night et que l'une d'elles l'a emmenée à Kampala en Ouganda. Un peu plus tard, d'autres agents ont récupéré un bout de vidéo-surveillance à Freetown en Sierra Leone montrant Night plus jeune avec Mina Murray et une autre femme. M demande à l'agent J5 de réquisitionner un jet : ils vont se rendre en Ouganda. Dans une autre pièce du quartier général, Garath et Satin découvrent Carol Flane (Electro Girl) dans une immense cage de Faraday. La discussion s'engage.


Alan Moore et Kevin O'Neill l'ont annoncé officiellement : il s'agit de la dernière aventure de la Ligue des Gentlemen Extraordinaires, car ils prennent leur retraite des comics. Le premier épisode de la première saison est paru en 1999, 20 ans auparavant. Le lecteur retrouve tout ce à quoi il s'attend : les personnages récurrents comme Mina Murray et Orlando, des personnages issus de la littérature de l'imaginaire (de James Bond à Prospero, en passant par des superhéros anglais oubliés), une imagination débridée, une narration visuelle sèche, ironique et protéiforme, des aventures délirantes, des références culturelles à gogo, à ne plus savoir qu'en faire. O'Neill dessine avec une verve qui donne le tournis, intégrant toutes les exigences du scénario qui sont en quantité astronomiques. Ses personnages ont encore parfois de grands yeux, mais leur contour est beaucoup moins anguleux que précédemment, et il arrondit même certains traits. Ben Dimagmaliw maîtrise mieux les techniques de mise en couleur, pour un rendu plus organique, plus cohérent, sans utilisation hasardeuse des effets spéciaux infographiques. L'artiste dessine une quantité phénoménale de personnages, tous immédiatement indentifiables, et reconnaissables si le lecteur a déjà eu l'occasion de les croiser. Il a dû passer un temps considérable sur chaque planche pour aboutir à une narration visuelle aussi rigoureuse, lisible et vivante. Le scénariste a perdu l'aigreur du tome précédent, et privilégie l'aventure, le spectaculaire, l'humour souvent ironique, dans une histoire dense pleine de péripéties inimaginables.


L'histoire entremêle plusieurs fils narratifs : Satin Astro est revenue dans le passé pour éviter une catastrophe mais elle a perdu la mémoire, James Bond continue à tout faire pour éradiquer le surnaturel du monde réel, Mina Murray décide d'accompagner Jack Dakkar au Monde Éclatant, pendant qu'Orlando et Emma Night enquêtent sur la mort de collègues de cette dernière. Le lecteur suit ces personnages qu'il connait depuis plusieurs tomes, ou qu'il a découvert au début de ce tome, en rencontre de nombreux autres, et se rend compte que les auteurs reprennent des éléments présents dans les tomes précédents : il s'agit donc d'une lecture déconseillée aux néophytes. Certes, ils font des rappels réguliers, par exemple la pièce de Shakespeare présente dans le Dossier Noir, mais ils sont succincts et parcellaires. À d'autres reprises, rien n'est rappelé : par exemple en ce qui concerne le Monde Éclatant et Prospéro. Dans ces cas-là, le lecteur de passage risque de rapidement jeter l'éponge. C’est-à-dire qu'il est possible de lire l'histoire pour elle-même en sachant très bien que nombreux dialogues font des références à des événements passés, que les dessins comprennent de nombreux personnages ou vestiges évoquant des œuvres anglaises de toute nature, et de trouver le récit entraînant, inventif, divertissant, imaginatif, excellent.


Mais il est aussi possible de s'agacer de ne pas saisir toutes ces références. Rien que la couverture du premier épisode pose question : qui sont ces trois femmes ? Emma Night, Satin Astro ou Orlando pour celle de gauche ? Les 3 hypothèses se défendent. Gloriana, Orlando ou Sycorax pour celle du milieu ? En tout cas, c'est Mina Murray pour celle de droite. Même pour un lecteur attentif dès le premier épisode de la première saison, il y a de nombreuses références trop obscures pour les identifier à la première lecture, ne serait-ce que parce qu'il s'agit de personnages mineurs de la bande dessinée britannique du vingtième siècle, ou parfois de la littérature d'imagination très obscure comme Pink Child, personnage apparaissant dans la nouvelle La niña rosa (1966), de Marco Denevi (écrivain argentin, 1922-1998). Autre exemple, chaque couverture est un hommage à une publication différente britannique, à commencer par les BD Classic Illustrated pour le numéro 1 : autant dire que le lecteur français n'en reconnaîtra pas beaucoup (sauf peut-être celle du magazine 2000 AD). C'est même épuisant ; dans une même page les références peuvent dépasser la dizaine, dans un ensemble hétéroclite pour mêler Cúchulainn et Gulliver. Au fil de l'épisode 4, le lecteur voit défiler Nemesis the Warlock, tous les acteurs ayant incarné James Bond, Pink Child, Dorothy (Dottie) Gale (Dorothy du Magicien d'Oz), Lady Alice Fairchild (Alice au pays des Merveilles), Wendy Darling Potter (Wendy de Peter Pan), Golliwog, Little Nemo in Slumberland, Margaret Brunner (= Margaret Thatcher + Miss Brunner), Mandrake le magicien, Black Cat (Linda Turner), Lady Blackhawk, Hannah Montana, Ayn Rand (1905-1982), et encore il s'agit à peine de la moitié des personnages de cet épisode.


Le lecteur constate également rapidement que la narration visuelle rend hommage à différentes formes de bande dessinée : la mise en page de Little Nemo in Slumberland de Winsor McCay (1971-1934), les strips des quotidiens, les comics pour fille avec des habits à découper pour placer sur les personnages, des passages en 3D (lunettes fournies dans le tome) dans le Monde Éclatant et même 2 pages en roman-photo dans l'épisode 3 : c'est un festival. Là encore, il faut une culture encyclopédique (celle d'Alan Moore) pour pouvoir rattacher telle forme de narration visuelle à telle magazine ou tel héros. Les références à la littérature de l'imaginaire ne s'arrêtent pas là et le lecteur reconnaît des références à des écrivains comme Howard Phillips Lovecraft (1890-1937), Ian Sinclair (et son personnage Andrew Norton), Michael Moorcock (et son personnage Jerry Cornelius), Margaret Atwood, à des auteurs de comics comme Steve Moore (1949-2014), Steve Ditko (1927-2018), et même à des mathématiciens comme Georg Cantor (mathématicien, 1845-1918), Kurt Gödel (mathématicien, 1906-1978), ou encore à des artistes peintres comme Richard Dadd (1817-1886), avec sa toile Le coup de maître du magicien bûcheron (The Fairy Feller’s Master-Stroke). Plus étonnant les auteurs prennent acte de l'existence des superhéros et y font référence Mandrake le magicien, Black Cat (Linda Turner), Lady Blackhawk, et de nombreux superhéros britanniques. D'ailleurs chaque épisode se termine avec une autre histoire de 8 pages, celle des Seven Stars : Captain Universe, Vull The Invisible, Marsman, Zom The Zodiac, Satin Astro, Flash Avenger, Electro Girl.


En fait chaque épisode contient encore beaucoup d'autres choses. Chaque deuxième de couverture revient sur un créateur de bande dessinée britannique qui a été spolié par les éditeurs : Leo Baxendale, Frank Bellamy, Marie Duval, Ken Reid, Denis McLoughlin, Ron Turner. Chaque troisième de couverture contient une page du courrier des lecteurs, entièrement rédigée par Alan & Kevin, réponses et lettres. Chaque quatrième de couverture constitue une fiche sur un des membres des Seven Stars, établie par Vull. Enfin le tome se termine par une postface en BD de 4 pages où Kevin & Alan se mettent en scène mettant en ordre le local de stockage où se trouvent tous les décors et les costumes nécessaires pour la série. Devant une telle profusion d'éléments de nature différente, cette bande dessinée semble inépuisable, à la fois pour ses personnages, ses références et ses thèmes. Le lecteur peut aussi bien l'envisager sous l'angle d'un divertissement, sous l'angle d'une somme postmoderne ultime, sous celui de la pensée des auteurs sur le rapport entre le réel et l'imaginaire et comment ce dernier influence le premier, comme une déclaration d'amour à l'imagination non-conformiste, etc.


Ce dernier tome des aventures de la Ligue des Gentlemen Extraordinaires revient à un ton moins amer, avec un entrain irrésistible, et une profusion de personnages inépuisable, avec une abondance de références souvent obscures. Du coup, ça ne peut pas plaire à tout le monde : il faut que le lecteur soit consentant a priori. Sous cette réserve, il est vite subjugué par cette œuvre non-conformiste, encensant son genre littéraire de prédilection, avec une ouverture d'esprit extraordinaire. Il en ressort enchanté, avec la certitude de relire ce tome, et une question lancinante. La Tempête ? Bien sûr, il y a Prospéro et Ariel pour faire le lien avec la pièce du barde d'Avon, mais y a-t-il un thème commun à ladite pièce ?

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le 30 sept. 2020

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