Ce tome contient les 5 premiers épisodes (parus en 2012) d'une nouvelle série écrite par Ed Brubaker, illustrée par Sean Phillips et mise en couleurs par Dave Stewart.


De nos jours, Nicolas Lash assiste à l'enterrement de Dominic Hank Raines, le meilleur ami de son père qui n'est pas présent car il est interné depuis une dizaine d'années. Du coup, c'est Nicolas qui devient l'héritier de Raines. Lors de la mise en terre, il croise Jo, une jeune femme magnifique. Peu de temps après il se rend à la demeure de Raines pour commencer à s'occuper de ses affaires. Il s'y produit un cambriolage violent duquel il s'échappe grâce à Jo, providentiellement présente à ce moment là. La narration revient alors en 1956, à San Francisco. Jospehine (la copie conforme de Jo) rencontre Hank Raines dans un bar. Ils évoquent un flic dénommé Walter "Walt" Booker qui semble la faire chanter d'une manière ou d'une autre. Booker enquête avec Lannie Dalton sur une série de meurtres rituels.


Il s'agit de la troisième série créée par Brubaker et Phillips, après Criminal (polars poisseux) et Incognito (pulp + espionnage). Cette première histoire propose de découvrir ce nouvel environnement par le biais de Nicolas Lash, et les autres. Josephine (Fatale) est bien présente en tant que personnage, toutefois le lecteur n'a pas accès à ses pensées. Tout en participant activement à l'histoire, elle reste un mystère. La narration est principalement axée sur les événements de 1956 qui occupent les trois quarts du récit.


L'histoire est présentée du point de vue de Nicolas Lash pour l'époque actuelle, et de Dominic Raines pour l'année 1956. Ed Brubaker fait partager au lecteur leur point de vue sur les événements par le biais de cellules contenant leur commentaire à posteriori. Le lecteur plonge donc dans une fiction aux règles inconnues qu'il découvre au fur et à mesure. Brubaker s'amuse à intégrer des influences de genres littéraires populaires (la couverture donne une bonne indication de l'un d'entre eux). Les lecteurs de "Criminal" seront en terrain connu puisque la majeure partie du récit repose sur la découverte des agissements de 3 personnages dans les années 1950, impliquées dans des opérations louches. Brubaker a choisi une construction qui nécessite une bonne attention du lecteur qui doit recomposer la structure des relations des uns avec les autres, à partir de ce qui est impliqué. La force de son récit réside dans le comportement adulte des personnages, et dans sa retenue. Un bon exemple de ladite retenue est la manière dont Josephine interagit avec les autres. Il est évident qu'elle représente pour plusieurs personnages masculins, un idéal de féminité éminemment désirable. Mais ce n'est ni une allumeuse, ni une mangeuse d'hommes ; son caractère est plus nuancé que ça.


Val Staples (qui avait travaillé sur la série Criminal) a donc cédé la place à Dave Stewart pour la mise en couleurs, et la palette de couleurs y a gagné en harmonie. À y regarder de plus près, Stewart a conservé les couleurs chères à Val Staples (comme le violet), mais en atténuant leur intensité et en limitant leur surface. De fait le lecteur retrouve l'ambiance particulière de "Criminal", en plus nuancé.


Le lecteur retrouve également le style caractéristique de Sean Phillips, chargé en encrage, les visages mangés d'ombre, et les contours délimités par un trait à l'épaisseur constante. Comme à son habitude, il privilégie l'impression que donnent les personnages ou les décors, à l'exactitude photographique et il a tendance à tracer des lignes courbes au rayon raccourci, ce qui atténue leur aspect enfantin, et augmente l'aspect peu accueillant, peu convivial. Il a l'art et la manière de rendre chaque endroit unique et plausible et de faire ressortir les différences d'atmosphère entre chaque lieu. Quelque soit l'endroit de la ville où se trouvent les protagonistes, le lecteur a toujours un sentiment de familiarité et normalité. De la même manière que Brubaker utilise quelques codes tirés de sous-genre littéraire, Pillips réalise quelques séquences qui évoquent des films de genre, telle la poursuite en voiture sur une route en corniche, ou l'un des amants de Jo en train de remonter la fermeture éclair de sa robe.


Tout au long du récit, Sean Phillips est en phase avec l'écriture de Brubaker : il pratique également la retenue. Sa description de Josephine évite, et même proscrit l'hyersexualisation pour lui préférer une force de séduction plus intime. Ce n'est pas que le caractère charnel de sa séduction soit nié, c'est plutôt qu'elle dispose également d'un coté fragile, mais elle est également rouée, manipulatrice sans être méchante, victime non consentante, etc. Et son apparence, ainsi que ses expressions visuelles et son langage corporel retranscrivent tout ces aspects en fonction de la situation. Pillips apporte autant de soin à ce personnage principal qu'au reste de la distribution ; il n'y a qu'à contempler une femme enceinte en train de se baisser pour ramasser su linge sale pour ressentir ses douleurs dorsales dues à sa grossesse (et il ne s'agit que d'une seule case).


Ed Brubaker et Sean Phillips sont toujours aussi en forme que dans leurs autres séries Criminal et Incognito. Toutefois ce premier tome laisse un goût n'inachevé car il constitue plus un prologue qu'une histoire complète par elle-même ; il pose de nombreux éléments qui ne demandent qu'à être développés par la suite. Pris à part comme tome unique, je ne lui mettrais que 8 étoiles ; considéré comme un prologue dans une narration au long cours, je lui mets 10 étoiles.

Presence
9
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le 17 janv. 2020

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