Ce tome fait suite à I hate Fairyland, Tome 3 : La ballade de l'amères sucette (épisodes 11 à 15) qu'il faut avoir lu avant. Il contient les épisodes 16 à 20, initialement parus en 2018, écrits, dessinés et encrés par Skottie Youg, avec une mise en couleurs réalisée par Jean-François Beaulieu. Il s'agit du dernier de la série, et les 4 tomes forment une histoire complète, et indépendante de toute autre.
Gert (pour Gertrude) se retrouve face à Happy en reine des enfers. Elle la met face à Bruud, à Lord Slug et d'autres, et Gertrude ne se laisse en rien impressionner par cette collection de perdants patentés. Happy reconnaît qu'elle est incapable d'imaginer des tourments plus imaginatifs, et elle laisse partir Gert par la porte qui s'ouvre devant elle dans l'obscurité. Incrédule, Gert se rend compte qu'en passant cette porte, elle se retrouve chez elle, dans sa chambre, avec sa belle moquette rose. Elle entend la voix de sa mère qui l'appelle à table. Après avoir ouvert délicatement la porte de sa chambre, elle s'aventure précautionneusement dans le couloir et finit par s'élancer dans les bras de sa maman. Ils passent tous les trois à table avec son père. Elle formule à haute voix sa joie de les retrouver après tant de temps. Son père se moque gentiment d'elle car ça ne fait que 8 heures qu'ils ont été séparés, le temps d'une nuit de sommeil. Gertrude a un moment d'arrêt, car pour elle ça fait 40 ans qu'ils ont été séparés. Elle relève la tête de son assiette et voit ses parents s'empiffrer comme des gorets.
Gert quitte la table en prenant ses jambes à son cou et part se réfugier dans sa chambre. Ayant pris conscience de ce qui se trame vraiment, elle s'empare d'une baguette magique jouet et commence à casser des bibelots. Le diable (il s'appelle Bill) lui apparaît et lui révèle le fin mot de l'histoire : il a effectivement trouvé un moyen de la faire souffrir, un moyen diabolique. Gert comprend ce dont il veut parler avant même que l'inéluctable se produise. Ailleurs Horribella finit par enfin obtenir une connexion avec Bill et elle lui réclame le prix qu'ils avaient fixé. Bill lui recommande d'être particulièrement précautionneuse avec le paquet car personne ne voudrait prendre le risque de libérer ce qu'il contient. Une fois la conversation terminée, il se rend à la poste de Fairyland pour y déposer son colis. Il y est servi par Hank qu'il réussit à convaincre de trouver un livreur séance tenante. Duncan Dragon, nouvellement embauché, se charge de livre le colis à Horribella.
À la fin du tome précédent, le sort de Gertrude semblait scellé, sans espoir de retour. Elle avait abusé tant et plus de ses pouvoirs dans Fairyland, massacrant les mignonnes créatures sympathiques, l'une après l'autre, sans aucun remords. Il ne semblait rester aucune possibilité de rédemption. D'ailleurs, elle se retrouvait fort logiquement en enfer. En outre le lecteur n'avait pas d'idée de la longueur totale du récit, et il pouvait penser que Skottie Young relancerait la machine aussi longtemps que les ventes suivraient, avec une succession inépuisable d'épreuves pour la cruelle Gertrude. En ouvrant ce tome, il comprend qu'il s'agit du dernier et que les pérégrinations de Gertrude vont connaître une fin en bonne et due forme à l'issue de ces épisodes. Il sourit en voyant le supplice que lui a réservé le diable Bill, aussi évident que logique et adapté. Il retrouve Duncan Dragon, avec un sourire devant son entrain inaltérable, sa volonté de bien faire et la situation dans laquelle il se retrouve. Horribella libère donc une telle horreur que les entités suprêmes de Fairyland estiment que seule une catastrophe d'une magnitude équivalente peut l'arrêter… sauf qu'il va falloir aller récupérer Gert là où elle se trouve.
Il s'avère donc que Skottie Young a conçu une intrigue bien troussée justifiant de manière satisfaisante, le retour de Gert aux affaires. Il montre que cela ne se produit pas tout de suite, et qu'avant il faut aller la repêcher. C'est donc l'occasion pour le lecteur de retrouver quelques-uns des personnages emblématiques de la série, à commencer par Duncan Dragon et Horribella, mais aussi Cloudia d'une certaine manière, et bien sûr Larry (Larrington Wentsworth III). C'est également l'occasion de revenir dans un ou deux lieux déjà visités. Mais Skottie Young ne donne pas dans la nostalgie ou la redite. Il s'agit bel et bien d'un nouvel ennemi pas encore apparu. Il y a de nouvelles situations d'affrontement physique avec des coups brutaux, et de nouveaux personnages comme le conseil. Du coup, comme dans les 3 premiers tomes, le lecteur retrouve le plaisir d'une aventure grand spectacle, avec des dessins maniant avec dextérité les codes visuels des dessins animés enfantins, mariés avec une couche de sarcasme et une autre de cynisme. Il n'est pas possible de se retenir de sourire devant le rose outrancier de la chambre de Gertrude, la gentillesse dégoulinante de ses parents, ou encore la bonne volonté inaltérable de Hank, personnages représentés avec un entrain communicatif. Dans le même temps, l'adulte sourit également en voyant à quel point Larry peut être désabusé, le costume ridicule de Duncan Dragon, la caricature de méchante sorcière qu'est Horribella, la mise en scène dramatisée de la révélation de l'identité de la créature qui sème la mort dans Fairyland, le regard bovin du ver géant qui se lance à la poursuite de Gert, ou encore la débauche d'énergie digne de superhéros cosmiques, lors du combat final. À l'évidence, Skottie Young sait manier les codes visuels des contes et des récits de superhéros pour mieux les tourner en dérision, avec une forme de cynisme enjoué irrésistible. Ses exagérations indiquent au lecteur que son récit n'est pas à prendre au premier degré, et dans le même temps ont un effet équivalent à celui d'une verve inextinguible.
Comme dans les tomes précédents, Jean-François Beaulieu joue le jeu de l'exagération et de la parodie, totalement en phase avec les dessins Il applique les couleurs typiques des récits pour la jeunesse, abusant du rose et des couleurs chatoyantes jusqu'au mauvais goût, ne laissant là aussi aucun doute sur l'intention caricaturale et moqueuse de ces codes. Il sait relever la saveur des dessins, en utilisant les couleurs pour rehausser le relief de chaque forme. Il utilise les effets spéciaux de l'infographie pour magnifier les décharges d'énergie, avec là encore une libéralité excessive qui ne laisse pas place au doute sur le fait que la narration visuelle s'inscrit dans le registre de la parodie. Page après page, le lecteur sourit de bon cœur devant ces excès hilarants : la gloutonnerie des parents de Gert leur faisant perdre toute contenance, jusqu'à déformer leur visage, le corps disloqué de Gert alors qu'elle vient de percuter de plein fouet le sol après une chute vertigineuse, les yeux cachés par sa frange de cheveux de Hank lui donnant une vivacité inexistante, le visage de vieil alcoolique incurable de Larry avec les yeux striés de veinules éclatées, la confiance démesurée du héros en combinaison d'astronaute tenant Gert en joue avec son pistolet laser tel un Buzz l'éclair de Prisunic, ou encore le regard dément de Gert enivrée par le pouvoir qu'elle manie. Skottie Young épate le lecteur par le pouvoir de conviction de ses dessins bourrés d'énergie, et par ce mélange d'infantilisme, de dérision assumée et de moquerie constructive.
Le lecteur a donc la surprise de découvrir que l'histoire aboutit à une fin qui n'appelle pas de suite. Il se rassérène en constatant que Skottie Young n'a rien perdu de son humour, essentiellement visuel. Gert n'a rien perdu de sa causticité, de son cynisme et de son amertume du fait de sa condition. Elle reste également très perspicace quant aux règles du jeu et quant à ce qui se joue vraiment. Le lecteur se rend compte qu'il éprouve de l'empathie pour elle du fait de sa situation. Il ne la voit pas comme une héroïne, ou un modèle digne d'admiration, mais il ne peut pas s'empêcher de ressentir une forme de pitié dans la mesure où elle est condamnée à répéter sans cesse les mêmes erreurs. En fait, il ressent aussi une pointe d'admiration devant sa capacité à ne pas se laisser abattre, à rester combative. Il se rend compte qu'il admire la même résistance chez Larry, même si son attitude évoque encore plus un risque de dépression mâtiné de comportements autodestructifs. Finalement il n'apprécie pas ces personnages pour leur cynisme, mais plutôt pour l'espoir qui les habite envers et contre tout.
Skottie Young a conçu une intrigue qui respecte les règles internes du récit. Le sort final de Gert n'est ni enviable, ni original, mais il est cohérent et inéluctable. Son triomphe (s'il est possible de le qualifier ainsi) est obtenu grâce à sa ténacité et son obstination, mais aussi par son intelligence. Sous des dehors de petite fille d'une dizaine d'années, Gert a bien un comportement d'adulte avec une solide expérience de la vie. Elle ne s'en laisse pas conter, elle ne prend pas des vessies pour des lanternes, et elle sait anticiper les événements et les comportements en mettant à profit l'expérience qu'elle a acquise durant ces décennies. Gert n'est pas dupe du système et si elle n'arrive pas à le changer, au moins elle sait en tirer profit quand l'occasion se présente. Sous des dehors de grosse farce habillée avec les conventions d'un conte pour enfants, Skottie Young raconte bel et bien un conte pour adulte, où il faut se méfier d'obtenir ce que l'on souhaite, et continuer à vivre même si les circonstances ne correspondent pas à ce que l'on aurait souhaité.
Ce dernier tome conclut l'histoire de cette pauvre enfant incapable de s'échapper d'un monde de conte pour enfants, et laissant libre cours à sa rancœur. La narration visuelle réussit à rendre compatible une apparence de conte sucré pour enfant, une parodie brutale de conte, avec un humour visuel incessant et plein de vie. Sur la base d'une réelle intrigue, Skottie Young évoque la rébellion d'une adulte condamnée à vivre dans un monde se parant des artifices de l'enfance, comme atteint d'immaturité pathologique. Gertrude refuse cette infantilisation qui lui est imposée par le système, tout en faisant le constat que le désenchantement de l'adulte n'est pas le bienvenu dans une société qui préfère maintenir l'illusion de l'enfance éternelle.