L'auteur d' "Exit Wounds" traite ici un autre thème propre à la société juive installée en Israël : les tentatives de reprise de possession par les Juifs des biens dont ils ont été spoliés en Europe pendant la Deuxième Guerre Mondiale. Ici, un vieille dame, Régine Segal, essaie de récupérer à Varsovie un immeuble qui appartenait à sa famille jusqu'à ce que les nazis arrivent...
Tout l'album narre les tribulations - surtout juridiques - de cette vieille dame et de sa petite-fille à Varsovie. Il s'y mêle, quasi inévitablement, une romance mouvementée entre la jeune fille (Mica Segal) et un jeune dessinateur de BD polonais (Tomasz Novak). Le personnage le plus drôle de l'album est Avram Yagodnik,un joufflu qui se colle partout sur les pas de Mica, et qui n'est pas neutre du tout dans l'affaire. Cet Avram, fat, pataud, imbu de lui-même, suffisant et maladroit, introduit un élément de détente dans un récit qui n'est pas vraiment drôle : rappel récurrent des persécutions nazies (voyage de lycéens israéliens en avion pour visiter les camps de concentration), trafics et tentatives de détournement de biens spoliés, planifiés par les uns ou les autres,, simulation en pleine rue d'une rafle nazie pour les besoins d'une reconstitution. Le personnage de la Présidente de l'Association pour la Mémoire des Juifs rêve de raser le nouveau Varsovie pour restituer à l'identique l'ancien ghetto. Tout cela dans un contexte automnal de Jours des Morts polonais ( Zaduszki - lendemain de la Toussaint).
La grand-mère de Mica, Régina Segal, est une très vieille dame assez insupportable, déprimée et capricieuse, qui fait pression sur son entourage au moyen de son état de santé et de sa solitude; mais son passé sentimental resurgit, et donne l'occasion de beaux moments d'émotion, toujours mâtinés de tragique.
Les relations entre les deux amoureux sont assez gentilles, et parcourues de hauts et de bas qui les rendent réalistes. Les coutumes locales polonaises sont évoquées : en cuisine, un plat de leniwe (pâtes à base de fromage blanc sucré). Les objets funéraires vendus devant le cimetière à l'occasion du Jour des Morts.
La narration, très réaliste en général (les scènes à l'aéroport et dans l'avion sont vraiment prises sur le vif), évite toute ellipse dans les échanges et dialogues, ce qui tend parfois à prolonger sur plusieurs pages des scènes de moyenne importance. La ligne du dessin, d'une clarté qui confine à la naïveté, garantit une belle facilité de lecture. La coexistence de dialogues supposés être en anglais, en hébreu et en polonais, a conduit la traductrice à utiliser des lettrages de natures différentes, distinction que l'on n'a pas toujours à l'esprit tout au long de l'album.
Un album assez tourné vers le passé (des Juifs, de Varsovie), et qui a la mélancolie des pertes qu'on ne pourra jamais rattraper.