Ça commence par de la torture et de la boucherie. Le sang gicle souvent, ça décapite, ça massacre et ça met du rouge partout. Les pages se suivent et se ressemblent. Le dessin d'un nouveau genre (en couleurs directes) adopté par Rosinski et qui marquait un nouveau souffle depuis Le Sacrifice, quitte à dérouter pas mal de lecteurs (mais qui pouvait impressionner par sa maîtrise), avait déjà commencé à montrer un certain relâchement de l'artiste dans le précédent album. Cette fois, c'est parfois tellement brouillon qu'on croirait les planches exécutées par un autre dessinateur [il paraît que Rosinski a eu des ennuis de santé et qu'il a dû terminer son album à l'hôpital pour tenir les délais. Merci au délicat éditeur, si c'est bien le cas]. Ce dessin si flamboyant, qui sauvait Le Bateau-sabre, enfonce cette fois-ci Le Feu écarlate dangereusement.
Car il faut bien le dire, Xavier Dorison (qui avoue n'avoir jamais eu le moindre contact avec Yves Sente) n'est pas du tout à la hauteur de la tâche. Et je me demanderai toujours pourquoi son prédécesseur a été évincé de la série à deux albums de la fin de sa propre saga, alors que son remplaçant conclura celle-ci en autant de tomes (voire un de plus) que ce qui a toujours été prévu initialement ! Deux albums pour deux albums, au moins ça serait resté cohérent à défaut d'être palpitant et Yves Sente serait allé jusqu'au bout du projet initial. Changer d'auteur deux chapitres avant la fin, c'est vraiment absurde (stupide ?). Et le résultat est sans appel.
Comble de l'horreur, le scénariste-nouveau nous ressort donc les vaisseaux volants du pays Qâ, considérant ainsi que les Européens ont découvert l'Amérique trois ou quatre siècles avant Christophe Colomb. Ben voyons !* Que Thorgal et son petit groupe restreint de camarades soient allés vivre de passionnantes aventures chez les Mayas (Ah ! C'était le bon temps, comme dirait l'autre), c'est une chose et ça ne remet pas l'Histoire en cause. Mais qu'un puissant empereur d'Europe (Magnus) conclue une alliance avec le pays Qâ pour lutter avec ses Croisés contre Bag Dadh, c'en est vraiment une autre, car ça aurait changé la face du monde. Or, THORGAL a toujours été une série qui s'inscrivait dans notre lointain passé historique, malgré ses forts penchants SF, merveilleux et fantastiques.
En prenant une liberté aussi incroyable (impardonnable ?), Dorison semble se croire tout permis sous prétexte de vouloir renvoyer rapido Thorgal en Norvège, et transforme la série en uchronie. Pour lui, Thorgal n'a pas vécu sur notre planète et dans notre monde, mais dans un univers parallèle qui leur ressemble fortement.
Il n'y a maintenant plus qu'à espérer que, une fois notre héros rentré chez lui et toutes les péripéties scénaristiques et éditoriales réglées dans le tome 36, THORGAL redeviendra une série estimable à partir du tome 37. Et, avec un peu d'espoir, peut-être sera-t-il possible alors de (re)lire la série du début jusqu'à La Cage pour enchaîner directement avec ce n°37 sans que ça ne pose de problèmes, et qu'on puisse oublier ou ignorer pour la compréhension de la suite que les tomes 24 à 36 ont jamais existé.
*: Les Européens (plus précisément les Vikings) ont effectivement découvert l'Amérique autour de l'an mille, mais sans vraiment le savoir, et ça n'a pas eu de conséquences notables sur l'Histoire.