Je peux pardonner la médiocrité. Je peux pardonner la nullité. Mais par contre, je ne peux absolument pas pardonner le gros foutage de gueule.
J'avais eu des échos comme quoi, une fois passé L'Affaire Francis Blake, le niveau n'était pas du tout à la hauteur des albums antérieurs. Mais, jusqu'ici, je n'avais quand même pas été particulièrement désespéré. Après tout, Les Sarcophages du 6e continent, le précédent opus, se démerde pas si mal que cela et ça me donnait de l'espoir pour la suite. La chute n'en a été que plus fracassante. Sérieusement, c'est quoi cette merde ?
L'échange d'apparences dans Blake et Mortimer. Ben ouais, génial. Certes, ce n'est pas du tout inédit dans l'univers de la fiction, mais dans celui des deux héros, si. L'action suit directement celle des Sarcophages. Il est révélé dès le début que c'est Mortimer qui est en fait resté en Antarctique, sous l'apparence d'Olrik. Il va devoir essayer de rejoindre son ami Blake à Londres avec tous les dangers que son physique d'ennemi public n°1 va impliquer. Pendant ce temps-là, dans la Perfide Albion, Olrik, sous l'apparence de Mortimer, va profiter de cette situation inespérée pour lui pour se venger implacablement de ses ennemi(e)s. Mais Blake a remarqué tout de suite que quelque chose cloche dans le comportement de son "pote". Voilà, un scénario qui aurait pu fonctionner à mort, insuffler une tension incroyable, mais ce n'est pas cette histoire que l'on a.
Hélas, à la place, celle que l'on a, c'est
Olrik, sous l'apparence de Mortimer, qui profite des traits du brave scientifique pour accomplir un plan infâme, diabolique : agir totalement comme le vrai Mortimer l'aurait fait, sans lui faire ou lui préparer le moindre tort, et aussi se faire prescrire un arrêt maladie. Euh, OK...
Et il est tellement fort Olrik qu'il arrive à se faire passer pour un des meilleurs scientifiques de sa spécialité pendant des semaines, voire des mois sans se faire griller (non, ne me sortez pas l'argument des trous de mémoire, même un grand scientifique avec des trous de mémoire reste un grand scientifique qui a des connaissances très pointues qu'un imposteur ne pourrait pas avoir !). Il arrive parfaitement à adopter le comportement quotidien de son ennemi, le plus petit aspect de celui-ci. Il parvient à le reproduire à la perfection. À aucun moment, il ne se trahit lui-même par le moindre geste, par la moindre parole, par un petit "Par l'enfer". Il réussit même le prodige de ne provoquer aucun soupçon de la part de Francis Blake, non seulement le meilleur pote de Mortimer, donc le connaissant jusqu'au bout des doigts, mais aussi un type d'une perspicacité redoutable. Et en plus, il se décide tout seul à partir en Afrique pour chercher une mine de d'or et de diamants juste... pour chercher une mine d'or et de diamants... Mais, il n'en a rien à péter de la richesse, le monsieur, lui, ce qu'il veut, c'est avoir une confrontation directe avec ce qui représente la légalité, l'ordre. C'est notamment faire ch... profond Blake et Mortimer. C'est tout ça, sa raison de vivre et d'être. Encore, si Blake ou Mortimer ou les deux avaient décidé de se pointer là-bas, là, ça aurait été crédible qu'Olrik se décide à les suivre juste pour le fun de les battre, mais là, non...
Ah, par contre, s'il peut se faire passer pour un scientifique renommé pendant un bon bout de temps sans se trahir, adopter d'une manière miraculeuse la plus minuscule manie du type pour lequel il se fait passer et ne pas se faire démasquer par son BFF, ce dernier étant en outre une des personnes les plus observatrices qui soit, il n'a pas été capable de prendre le temps d'apprendre à imiter l'écriture de son nouveau "moi" (ce qui veut dire qu'il a pu aussi utiliser sa propre écriture malgré sa nouvelle identité sans que personne ne le remarque !).
Il m'est arrivé régulièrement de souligner, même dans les albums de Jacobs, des incohérences, mais bon, ça passait. Ce n'était pas vraiment gênant. Mais là, non, je ne peux pas. Cela atteint un trop gros degré de débilité.
Mais ce ne sont pas les seuls défauts de l'ensemble. Mais non...
Je suis une patate pour ce qui est des connaissances scientifiques. Mais une civilisation humaine qui a 350 millions d'années d'existence ? Pourquoi pas 1 milliard tant qu'à faire ? On n'est plus à quelques centaines de millions d'années près. Ah oui, est-ce crédible qu'une civilisation qui a évolué pendant 350 millions resterait dans une grotte au fin fond du Kenya sans se manifester ou se faire remarquer, sans avoir des millions et des millions et des millions d'années d'avance sur nous, sans essayer de nous dominer par un quelconque moyen ?
Parlons-en de la représentation de cette civilisation. Juste quelques petites cases avec des individus habillés en guerriers du fin fond de la savane, avec une voix qui sort de nulle part et une grosse plante dégueu. C'est tout. Rien de consistant, aucun univers approfondi. Les reproches que je formulais envers Jacobs, par rapport au fait que sa représentation de l'Atlantide me paraissait légèrement bancale étant donné qu'il avait essayé de mettre dans un seul tome ce qui pouvait donner largement de la matière pour deux, me semblent d'un coup complètement exagérés en comparaison. Tiens, en parlant de L’Énigme de l'Atlantide (oui, parce que je faisais référence à cet album !), le quasi-rien du tout que l'on a du "monde souterrain" (ouais, de bien grands mots pour ce que c'est réellement !), ultra-giga-méga-esquissé avec un gros coup de gomme en prime, est clairement pompé sur celle des Atlantes. Pour le côté amnésique, ben ouais, pompons aussi déplorablement et sans la moindre once d'originalité Le Mystère de la grande pyramide. Et la bague volée pour laquelle ils ont fait toute une histoire au point de rendre un explorateur allemand fou ? Oh, vous pouvez la garder, en fait, on ne va pas essayer de vous la prendre alors qu'on le peut sans problème et va te faire profondément foutre la logique.
Ah oui, c'est bien aussi pour des questions de parité d'avoir amené dans cette aventure deux personnages féminins, Nastasia Wardynska et Sarah Summertown. Mais concrètement à quoi elles servent ? À aucun moment, leurs compétences et leurs aptitudes ne font avancer l'histoire. Elles n'auraient pas du tout été-là que ça n'aurait pas fait la plus petite différence.
On en parle aussi du dessin bâclé, torché sur certaines planches, surtout les dernières ? Non, il ne vaut mieux pas.
Si je n'avais pas emprunté mon exemplaire à une des bibliothèques de ma ville, je crois que, de rage, je l'aurais foutu à sa place naturelle, à savoir dans la poubelle (celle des recyclables bien sûr, il faut tout de même être un minimum écolo !). C'est consternant. Pauvre Jacobs.