En ces années de grâce 1971-72, Jean-Michel Charlier accouche du scénario parfait, de l’alpha et l’oméga, du maître-étalon, du saint Graal version BD. Pas moins. L’orfèvre au sommet de son art nous cisèle une course au trésor fabuleux, une succession de rebondissements mêlant tueurs à gage cyniques, indiens rebelles, machiavélique baron fou et spectre assassin. Folie de l’or, folie de la soif, folie de la torture… tous déments… tous, sauf notre héros au nez cassé. Charlier et Giraud étaient manifestement las de dessiner des tuniques bleues. Dix albums auront suffi pour nous convaincre que les guerres indiennes ne sont ni belles, ni justes. L’armée n’ayant que faire du trop indépendant lieutenant, Blueberry est mis en disponibilité, puis nommé chérif d’une bourgade perdue à la frontière du Mexique. Une punition en forme de rédemption qu’il partage avec son vieil ami, l’intempérant et crédule Jim MacClure.
Le BD franco-belge bute sur les limites du standard industriel de 48 pages, trop court pour déployer une histoire ambitieuse. Le diptyque est la meilleure réponse. Le Spectre aux balles d'or est la suite de La Mine de l'Allemand perdu.
Le dessin est admirable. Jean Giraud sublime les références du western spaghetti, voire au cinéma de Sam Peckinpah ; la cible « jeunesse » bride néanmoins ses audaces. Les jeux d’ombres et de lumière sur les décors rocailleux sont sublimes. Le travail de mise en page est audacieux et les scènes d’action fascinantes. Sous nos yeux ébahis, les chevaux galopent, les indiens traquent les visages pâles, les cow-boys dégainent, tirent et meurent. Il excelle dans les sales gueules, les faces burinées, alcooliques et haineuses. Blueberry est épargné par le jeunisme ambiant, les rares minois ménagés dissimulent de parfaites crapules : que ce soit Cole ou, dans les albums ultérieurs, Chihuahua Pearl ou Angel Face. Une seule réserve, les proportions de quelques visages sont maladroites, accentuant leur aspect cabossé. Giraud reste humain et donc faillible. Nous voilà rassuré. Foncez.
PS. Jan Kounen a signé une très personnelle et très chamanique adaptation (Blueberry, l'expérience secrète) cinématographique. Oubliez.