Pas vraiment d'analyse mais quelques remarques.
Titre : Le tour de Gaule
Auteurs : René Goscinny et Albert Uderzo
1ère publication : « Pilote » n° 172 ( 07/02/1963)
Publication album : 1965 Dargaud
Références :
Rouvière (N) Astérix ou la parodie des identités p 134, 161,
S. Farré « D'Ablusbégalix à Alambix : les métaphores de la collaboration durant les années Astérix (1959-1977) » Objectif Bulles pp 188.
Album utilisé : Edition hachette 2008. Avec de faibles modifications par rapport à l'édition originale Dargaud
– Graphisme de la couverture le nom des auteurs R. Goscinny, A. Uderzo encadrant le nom d'Astérix remplaçant l'ancien texte « Une aventure d'Astérix le gaulois »
– La page 4 de présentation des personnages connait aussi quelques modifications graphique et textuelles.
– Suppression de l'inscription « Quelques gaulois... »
– Idéfix apparaît aux côtés d'Obélix, tandis que le texte précise « Il est accompagné par Idéfix, le seul chien écologiste connu, qui hurle de désespoir quand on abat un arbre. »
– Le druide Panoramix apparaît penché sur sa marmite au lieu d'être droit.
– Le chef Abraracourcix à changer de porteurs et affecte une posture plus hautaine, tandis que son pavois semble un rien déséquilibré.
Vision de la civilisation automobile.
5° album de la série, le principe dramatique de l'histoire réside dans l'obligation qu'on Astérix et Obélix d'effectuer un tour de Gaule gastronomique en un temps donné. C'est l'occasion pour les auteurs de brocarder un certains nombres d'aspects du voyages automobile les héros sont ainsi:
– Confronté aux embouteillages à Lutèce (page 13).
– Arnaqués par un revendeur de véhicule d'occasion.(page 14).
– Font appelle à une dépanneuse (pages 14-15).
– Empruntent des voies romaines qui porte des publicités à l'entrée des villes (page 17).
– Emprunte la Voie Romaine n°7 (page 28) (exacte décalque de la nationale 7 chanté par Charles Trênet avec ses bouchons dû à la migration estival vers la cote d'azur.
P 28 3/1 :
Astérix : « Mais que se passe-t-il, ici?
Estivant : D'où sortez-vous? Vous ne savez pas que c'est l'époque du grand repos et que tout le monde part à la mer pour se détendre? »
– Ses restaurants routiers surpeuplés au service et à l'accueil médiocre.
P 28 4/1, 2 :
Astérix : « Une auberge ! Descendons manger un morceau et trouver un peu de calme !
Obélix : Bonne idée!
Obélix : J'ai demandé du sanglier et c'est du veau!
Aubergiste : Il n'y a plus de sanglier et si vous n'en voulez pas, d'autres attendent votre place, qui en voudront! »
La voie romaine laisse apparaître sur un bas-côté une publicité « BF » (bon foin) travestissant les enseignes de la compagnie pétrolière « BP » (P 28 2/1) cet album illustre le premier temps de la civilisation automobile associé à la civilisation des loisirs de masse. Une vignette souligne d'ailleurs le décalage existant entre citadins et ruraux, nord et sud.
P 28 4/3 :
Paysan : « Tous fadas ces Lutéciengs »
Cette première civilisation automobile sera relayé quelques années plus tard par l'espace autoroutier que les auteurs illustreront avec « Astérix chez les Helvètes » (1970).
On perçoit à travers le ton humoristique, déjà une certaine critique des évolutions de la société moderne.
Vision des loisirs :
Cet album, illustre aussi avec les vacances au bord de la mer l'entré dans l'ère des loisirs de masse. Loisirs de masse qui avec l'automobile sont le symbole du modernisme et de la réussite.
La situation présentée correspond à une étape intermédiaire entre le modèle des loisirs de type ancien privilège de l'élite social et loisir de masse.
L'étape méditerranéenne du tour de Gaule s'effectue à Nice ville touristique déjà ancienne dont la réputation s'appuie sur l'idée d'un standing associé notamment aux hôtels de luxe et aux casinos. La seconde étape méditerranéenne des héros est Marseille mais aucune allusion n'est faite à St Tropez dont la réputation commence à s'établir grâce entre autre à la résidence d'une star comme Brigitte Bardot.
A Nicae (Nice) « la promenade des breton » décalque de la promenade des Anglais de Nice peuplé d'élégante vêtu à la dernière mode (P 29 1/ 2) s'oppose à la plage siège de loisirs plus populaire comme en témoigne les réflexions des estivants lors du passage d'Astérix et Obélix.
P 29 4/1 :
Estivante : « Il y a des gens sans gêne, tout de même !
Estivant 1 : Ces congés payés, ça se croit tout permis !
Estivant 2 : Qu'est-ce que vous avez contre les congés payés ? »
Références historique à la 2° WW :
L'album fait également référence à la période de l'occupation :
– Le tour de Gaule des héros correspond à un acte de résistance à l'occupation romaine.
– Au cours de leur périple A et O profite de la solidarité de leurs compatriotes :
P 16 2/1 & 2/2 (après avoir assommé une patrouille romaine dans une boutique) :
Astérix : « Nous nous excusons, nous avons mis un peu de désordre dans votre magasin...
Marchand : Pensez-vous ! Entre gaulois, il faut s'aider ! Nous sommes au courant de votre pari... Filez ! Nous vous souhaitons bonne chance. Je vais essayer de garder les légionnaires ici le plus longtemps possible... »
On remarque qu'outre la solidarité l'information circule de manière clandestine de la même manière que sous l'occupation.
– Les figures de collaborateurs, incarnés par le traitre Quatrédeusix (p 19-21) et l'aubergiste Odalix (p 37-38), sont finalement tourné en dérision.
P 21 4/2 & 4/3 :
Quatrédeusix : « Jamais plus je ne trahirai mes compatriotes ; c'est un métier assez bien payé, mais plein de risques... ...et moralement indéfendable. »
– La cité de Lugdunum (Lyon) apparaît comme un haut lieu de résistance très structuré qui utilise le labyrinthe des traboules et possède un très efficace réseau de renseignement (p 25-27) à l'instar de ce que fut Lyon durant l'occupation.
P 26 1/ 1 & 1/ 2 :
Beaufix : « Je suis Beaufix, le chef clandestin de la ville. Vous êtes des compatriotes et nous connaissons votre pari. Nous allons vous aider en mettant la garnison romaine hors d'état de nuire pendant quelques heures...
Astérix : Comment allez-vous faire ?
Beaufix : Lugdunum possède une grande quantité de ruelles, un vrai labyrinthe, dans lequel les romains hésitent à s'engager... »
– Plus loin (p 37 1/1 & 1/ 2) le placard mettant à prix la tête des deux héros évoque autant les affiches de l'occupation que celles des westerns.
L'occupation est devenu une période qu'il est possible d'évoquer même si le discours correspond encore à celui qui montre une France globalement résistante la collaboration n'étant le fait que d'élément isolés et cupides tel que l'exprimait notamment, en 1948, le film de René Clément « Le père tranquille ».
L'utilisation de référence explicite à la période de l'occupation s'effectue dans le contexte d'une transposition humoristique, il s'agit pour les auteurs de dédramatiser par le biais de l'humour un passé encore potentiellement douloureux mais qui constitue la légitimation morale du pouvoir gaullien. Cette évocation par le biais de l'humour s'effectue également par le biais du cinéma (cf : « La cuisine au beurre », « La vache et le prisonnier »).
Le but recherché semble être celui de dépassement du passé et d'apaisement du conflit des générations.
Autre info : Apparition d'Idéfix qui intègre le groupe héroïque qui trouve sa forme définitive de trio. A noter qu'Idéfix intègre le groupe héroïque de manière très discrète, presque clandestine. Il suit Astérix et Obélix sans intervenir jusqu'à la fin. Ce n'est que dans les toutes dernières images qu'Obélix l'adopte en arrière-plan (p 48 2/2 & 2/3).
Notons que les auteurs tout en adoptant un ton parodique vis à vis du style héroïque installé par l'école belge ne parviennent pas à s'affranchir des schémas narratifs traditionnels.
L'album possède une dimension initiatique :
Astérix au début de l'album s'auto investit comme héros :
P 8 2/3 :
Astérix : « Romain ! Nous sommes chez nous en Gaule et nous irons où bon nous semblera... »
A un moment il reproduit même le conte d'Hansel et Gretel (cf: pages 19).ou Astérix et Obélix fuyant les romains trouve refuge dans la forêt des Ardennes (entre Cambrai et Metz) attiré par une odeur de nourriture A et O tombent dans un piège en cédant à leur désir.
On remarque d'abord que l'antagonisme entre les deux héros s'exprime Astérix, partisan de la prudence et de la tempérance, et Obélix en proie au désir d'obtenir la satisfaction immédiate de son désir de nourriture.
P 19 1/ 2 :
Obélix : « J'ai faim, Astérix.... Et toute cette nourriture dans le sac...
Astérix : Il ne faut pas y toucher, Obélix ! Nous devons ramener ces denrées intactes au village. »
Puis Obélix cède complètement à son désir.
P 19 3/3 :
Obélix : « Astérix ! Ça sent le sanglier rôti par ici !!! »
Et cède totalement aux pulsions de son désir en entrainant Astérix malgré ses réticences
P 19 2/ 2 :
Astérix : « Obélix... Il serait plus prudent que nous nous contentions de manger quelques racines...
Obélix : Les racines, c'est bon pour les sangliers et les sangliers, c'est bon pour nous, comme ça tout le monde est content, et allons-y ! »
La fin de la page les trouve tous les deux repus ayant cédé à désir du corps tandis que le piège se referme sur eux.
P 19 4/ 2 (devant une table chargé de relief de repas) :
Astérix : Vraiment, je crois que nous abusons...
Obélix : Moi, je crois que je vais abuser encore un peu...
Quatrédeusix (en pensée) : Mangez, mangez ! Les romains me rembourseront largement ce repas ! »
Le même scénario va se répéter plus loin (p 37) avec la tentative de piège de l'aubergiste Odalix qui utilise le même ressort de satisfaction du désir pour les séduire.
P 37 3/ 2 & 3/3
Odalix : « Halte mes amis ! Vous êtes des héros et si vous me faites l'honneur de me suivre, je vous invite à vous reposer dans mon auberge... […] Il y aura des pruneaux et des sangliers ! »
Cette fois ci Astérix ne cède pas à la tentation, et déjoue la machination.
A cette occasion on remarque :
– Que la forêt correspond à un espace sauvage primitif mais loin d'être hostile elle représente un refuge pour les héros c'est au contraire la ville et l'espace romanisé (civilisé) qui représente un espace dangereux,
– Qu’une morale traditionnelle est dispendié
– Qu’Obélix se débrouille assez bien quand il se trouve séparé d'Astérix (p 21-23).
P 22 1/ 2 :
Obélix : « Astérix a dû être conduit en prison. Et le mieux pour trouver la prison et y entrer, c'est d'être conduit soi-même en prison... »
On peut remarquer de manière plus général que le propos de la saga Astéricienne reprend, en l'adaptant à son époque, le schéma du héros traditionnel.
– Le héros s'auto-investit au lieu d'être investit par une puissance supérieur (genre fatum)
– Le héros résiste à son désir mais y cède régulièrement. Dans le conflit désir incarné par Obélix et le surmoi incarné de manière par le héros éponyme Astérix, le point de vue d'Obélix l'emporte régulièrement (cf : brouille du « Bouclier Arverne »)