Un nouvel album composite pour Spirou, avec quatre histoires qui marquent la transition entre Jijé et Franquin. Des intrigues plutôt courtes et inégales, au contenu assez faible, mais qui permettent d’apprécier l’évolution du trait chez ces deux géants de la BD.
L’histoire des Chapeaux Noirs nous prouve que Franquin progresse à chaque nouvelle aventure de Spirou : avec son dessin rond et son découpage dynamique, bien loin de l’obligation 3 X 5 vignettes qui pesait sur les aventures précédentes, voilà une histoire bien plus moderne pour le petit groom. L’intrigue est séduisante et repose sur un unique et long mensonge, avec ce faux Far West de cinoche : cette aventure donne l’occasion de montrer que le Texas est depuis longtemps déjà devenu le pays de l’automobile, plutôt que celui du cheval. Et le faux sheriff est attifé une gueule bien expressive, bien pataude, qui vaut à elle seule détour !
La deuxième aventure, intitulée Comme une mouche au plafond, est signée Jijé. Dans le dessin, c’est presque un retour en arrière par rapport à Franquin : un Spirou plus anguleux, un Fantasio bourré de rides, le tout servi par un trait plus mature mais moins neuf ... Le scénario est franchement médiocre, mais le talent de Jijé éclate dans les jeux de perspective que lui offre la lévitation : des vignettes souvent allongées, une scène croquée sous un angle de vue inattendu, Jijé expérimente joyeusement et prend plaisir à dessiner cette aventurette loufoque.
Spirou et les hommes-grenouilles, la troisième aventure de cet album, est elle aussi dessinée par Jijé : c’est peut-être sa meilleure histoire, d’un classicisme absolu. Jijé reprend un découpage simple et régulier, sans grande fantaisie. Mais son dessin a atteint sa maturité, et le contraste par rapport à Comme une mouche au plafond est saisissant, alors qu’à peine six mois séparent les deux histoires.
Spirou et Fantasio ont acquis de véritables expressions adultes, et ils évoluent dans des décors riches et variés : les scènes sous-marines sont particulièrement sublimes, et leur mise en couleurs est somptueuse. Le jeu d’ombres dans la caverne, à la lumière de la lampe torche, est lui aussi magnifiquement rendu. Côté mise en scène, dans tout ce classicisme, Jijé s’autorise même quelques fantaisies sur la fin !
Spirou et les hommes-grenouilles, définitivement, c’est le chef-d’œuvre de Jijé pour la série Spirou.
La dernière histoire est intitulée Mystère à la frontière, et c’est à nouveau Franquin qui est aux commandes. L’intrigue n’est pas inoubliable, même si elle permet d’introduire quelques éléments délirants dignes de l’univers de Spirou, comme cette hicoïne, une drogue qui donne le hoquet. Côté dessins, Franquin est arrivé à maturité, avec des graphismes moins adultes que ceux de Jijé, mais plus ronds et plus dynamiques.
C’est à la suite immédiate de cette aventure qu’est publié Il y a un sorcier à Champignac, la première intrigue véritablement longue que Franquin signe pour Spirou.