Savoia met en parallèle dans sa BD deux récits : un, historique, celui du naufrage de L’Utile et de son équipage et sa cargaison, l’autre, autobiographique, de sa propre expédition sur les lieux, en compagnie d’une équipe de relevés météorologiques. Si les deux récits n’ont en commun que leur situation géographique et l’héritage historique laissé à l’un par l’autre, cette intention souffre de ses propres écueils de construction.


Dans cette configuration, deux méthodes de lecture s’offrent : soit on suit la BD dans sa stricte linéarité, soit chaque récit se lit individuellement. Cependant, il est largement préférable d’adopter la deuxième méthode, suivant l’ordre historique logique. Mises en parallèle, les deux histoires s’emboîtent mal, sans cohérence franchement limpide. Suivant l’ordre de la narration, l‘entreprise était de toute manière vouée à l’échec, et c’est d’autant plus frustrant.


Sur le fond, Savoia nous offre tout de même un récit historique d’une précision remarquable, parfaitement documentée, et mettant en exergue le désintérêt profond de l’homme noir par l’homme blanc, qui, même naufragé, refuse de retrouver son humanité en faisant travailler ses esclaves pour s’approprier leur travail sans montrer de pitié. Les esclaves désormais livrés à eux-mêmes donneront alors au lecteur une leçon de survie magistrale et touchante dans certains aspects. L’auteur peine cependant à faire éprouver une empathie très forte envers eux, le design et la description de l’environnement manquant de dramatique. Le récit de survie ressemble bel et bien à un récit de survie, mais il apparaît dépourvu de ses aspérités les plus éprouvantes, et n’est pas assez dépeint dans son caractère de situation critique.


Cet aspect retrouve cependant une similitude surprenante dans la partie autobiographique de la BD, où la vie sur l’île est parfois décrite comme particulièrement éprouvante. La principale erreur de Savoia est finalement de donner aux deux récits une même ampleur dramatique, là où l’une gagne à l’être beaucoup plus que l’autre, même à travers la banalité prenant place dans le quotidien des naufragés. Si l’intrigue autobiographique conserve un intérêt didactique, ses textes très petits qui font plisser les yeux la rendent trop longue par rapport à son pendant historique, ce qui crée du déséquilibre.


Une BD dont cependant les qualités supplantent les défauts dans l’expérience de sa lecture, instructive autant que séduisante.

Aldorus
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le 8 mars 2017

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