"Lucille" est le nom de l'engin avec lequel le vilain Negan fracasse tout ce qui lui déplaît. On en appréciera le côté primitif et barbare, tout en nous rendant compte que cet objet symbolise assez nettement l'atmosphère générale de la série : quand il n'y a plus de société, plus de loi, plus de contrainte policière ou morale pour se conduire d'une manière plutôt que d'une autre, on retourne aisément aux solutions radicales pour assurer sa survie, tout en concédant qu'on ne peut se passer d'autrui, par exemple pour trouver de la nourriture dans un monde où personne (ou presque) n'en produit.
Negan, dans sa psychopathologie tyrannique, résume assez bien les contradictions d'un tel mode de survie : effrayant, car il peut broyer le crâne de n'importe qui à n'importe quel moment (il est bien imprévisible, ainsi que le dit "Jésus"), il a fréquemment des réactions de cordialité et de sociabilité, voulant périodiquement avoir l'air de ménager ceux qui, après tout, le nourrissent, et les appelant incidemment "mes amis". Son ordre est fondé sur la force brutale (cruauté abjecte : tuer certes, mais aussi brûler la moitié du visage des désobéissants au fer rouge), et ordonné pour satisfaire également sa libido sexuelle : on fauche les femmes des autres pour en faire un harem dans lequel on vient se soulager périodiquement. Economiquement, sa manière d'exploiter ses sujets ne diffère guère des conditions dans lesquelles étaient maintenus les serfs au Moyen Âge.
Le sommet de tension de cet épisode, habilement conduit, est la longue confrontation entre Negan, et Carl, le fils de Rick, qui lui a imprudemment dégommé six mecs à la mitrailleuse. On attend évidemment que Carl se fasse éclater la tronche (de ce côté-là, le travail est déjà à moitié fait), et c'est là que Negan révèle l'imprévisibilité de son attitude, tel un chat qui joue avec une souris, et jouit de la voir exécuter ses caprices.
Ezéchiel, le chef d'une communauté différente, a opéré un autre choix : être l'image d'un bon roi antique, dont il prend le titre, le trône, et même un tigre inquiétant pour soigner son image de potentat oriental. On retrouve donc une autre idée ici : chacun recrée le monde perdu à l'aune de ses préférences, de sa culture, de ses fantasmes.
Rick gère difficilement l'attitude de soumission à Negan qu'il impose à son groupe; il manque de peu de voir Andrea déserter son lit; tandis que Michonne, de plus en plus discrète depuis quelques albums, se sent vraiment seule, et fait des avances ouvertes à une autre femme. Que vos yeux ne brillent pas, petits coquins : on est dans une série d'horreur, pas de sexe !
Il faut une ou deux images vraiment choc par album, et ici, Carl enlève ses pansements. Même Negan en est secoué, c'est dire ! Et, lors du train-train quotidien des bagarres et des éclatages de zombies, Charlie Adlard insère parcimonieusement mais assez régulièrement des images uniques pleine page, qui saisissent des moments de forte tension.
Ajoutons à cela le remarquable rendu des réflexions des uns et des autres, qui renseignent sur l'évolution de l'action générale tout autant que sur celle des relations entre deux ou trois personnes, et l'on aura quelques-uns des procédés par lesquels cette série continue de captiver, voire de fasciner.