Luke Cage est un superhéros Marvel encore jeune et dont les apparitions sur le marché français sont peu nombreuses. Si cela n’était pas suffisant, il est nécessaire de souligner que ce volume, Luke Cage : Mafia Blues, est signé de
deux très grands noms du comics américain contemporain,
à savoir Brian Azzarello au scénario, très actif sur nombres d’excellents volumes de Batman ces dernières années autant qu’à travers la très bonne série noire 100 Bullets, et Richard Corben, magnifique illustrateur au talent rond autant que puissant, passionné par l’insertion glissante et floue du fantastique dans le réel et virtuose dans l’art des ambiances aux contrastes parfaitement dosés. Bref, aux origines du solide solitaire massif de Harlem, ce volume est indispensable !
Polar sombre des bas-fonds, blacksploitation assumée, dans la soirée, à travers les rues sordides du quartier afro-américain, un règlement de compte et une balle perdue : une mère éperdue de chagrin trouve Luke Cage, le supplie de venger son innocente fillette de l’ombre mafieuse qui massacre à l’aveugle, à travers les fenêtres même, les espoirs d’avenir de la population locale. Très vite, l’imposante armoire de muscles tendus se met en marche et lie les informations : derrière la balle fatale, ce sont tous les arrangements mafieux du quartier dont les liens tissés dans l’ombre se révèlent.
C’est la merde.
Polar sombre des bas-fonds, blacksploitation assumée, le scénario de Brian Azzarello démontre une nouvelle fois, s’il en était besoin, la virtuosité de l’auteur à conduire le mystère en l’étoffant toujours sans jamais oublier de venir ponctuer minutieusement le récit de
poings puissants et soudains dans la tension narrative.
De l’amertume revancharde et torturée d’une mère meurtrie aux ambitions démesurées et conjuguées de trois hommes avides de pouvoir, de sang et d’argent, le scénario plonge le héros dans les noirceurs de la volonté dérangée des hommes tout en magnifiant le bras solide et vaillant, infatigable, de la justice.
Polar sombre des bas-fonds, blacksploitation assumée, la mise en scène, les cadres et le découpage de Richard Corben installent
une atmosphère de déchéance irrémédiable,
sculptent des personnages incroyables de réalisme fantasmé malgré l’aspect rond, limite cartoonesque dans l’approche stylistique simple. Les décors, droits et acérés, monolithes sur les profondeurs de la réalité au ras du sol sale de New York, jouent de la même veine prête à exploser, tapie pourtant dans l’ombre portée des buildings autant que dans celles de la nuit et des hommes. La colorisation et les ombres se font dans
un pointillisme évanescent et minutieux,
toujours courbe et doux pour jouer des contrastes dans le détail : le travail graphique fourni est impressionnant. L’ensemble, calibré Marvel dans le format, détonne de par sa forme en y apportant une nouvelle touche, parfaitement liée à la naissance de nouvelles approches pour la Maison des Idées.
Polar sombre des bas-fonds, blacksploitation assumée, Luke Cage : Mafia Blues est
une sombre et splendide perle noire aux riches reflets du comics moderne.
Indispensable de par les immenses talents conjugués de ses auteurs incontournables autant que dans ce qu’il dit de la légende du personnage et de son univers. Ceux qui ont vu la récente série y retrouveront quelques anecdotes et plaisirs coupables, les racines du scénario général et des personnages principaux. Ceux qui ne l’ont pas vue poseront les bases d’une découverte à pousser plus avant, et rêveront, comme moi, de voir le tandem Azzarello-Corben se retrouver pour de nouvelles enquêtes, crades, violentes et sombres, du mastodonte solitaire.