Le réalisme soigné des dessins de Max contribue beaucoup à créer l’effet de surprise qui est réservé au lecteur dans cet album : cette histoire, essentiellement contée à la première personne par le héros, commence à développer avec méthode la vie banale et sans relief de ce jeune apprenti-boulanger, mais les décors et les anecdotes sont si vraies que l’on se croit parti sur un album-« tranche de vie » de bon aloi. Visages, silhouettes, formes et éclairages sont bien saisis, et l’on ne demande qu’à se laisser porter par une narration généralement bien découpée. A peine peut-on s’étonner que plusieurs des visages de jeunes personnages affichent assez systématiquement des expressions minimalistes, qui varient assez peu quel que soit le contexte. La narration énoncée par le héros comporte souvent des passages ironiques ou sarcastiques de belle venue.
Donc, une vie d’apprenti-boulanger de banlieue, tout ce qu’il faut pour être engueulé par le patron, dragué par sa fille en nuisette, pris en sympathie par les collègues de travail, nettement plus âgés. Il faut vraiment arriver au milieu de l’album pour que le récit bascule : le héros, qui a une prédilection pour les livres, tombe sur un grimoire rempli de recettes de sorcellerie. Grimoire dont le titre est « Da Natura Daemoni » (« De la Nature du Démon »), et qui existe... presque ! Un traité, « De Natura Daemonum » (« De la Nature des Démons »), est dû à un certain Giovanni Lorenzo D’Anania (fin XVe-début XVIe siècle) ; ce n’est pas vraiment un grimoire de recettes, celui-ci, mais les scénaristes se sont donné la peine de trouver un titre vraisemblable.
Alors, notre apprenti-boulanger, qui se trouve boudé par la chance, tente de mettre à exécution l’une des recettes du grimoire, appelée « Charme de Chance ». Par le côté hétéroclite et farfelu des ingrédients nécessaires, on devine que « Le Petit Albert » a dû inspirer les auteurs. Bon, ça marche, et là, l’apprenti-boulanger change de destinée... Mais il a mis les mains dans un engrenage qui va le dépasser...
Par l’amour des livres, et spécialement des livres occultes, le héros se rapproche des histoires de Lovecraft, et on appréciera l’évocation d’une... créature, selon des modalités que n’aurait reniées ni le Docteur Faust ni même Freddy Krueger. Il y a des passages boiteux : le héros en prend à son aise avec la nature des ingrédients magiques, et les démons, en général, ne rigolent pas avec le protocole. Mais, bon, si ça marche quand même, hein ?
Les personnages « secondaires » sont fort bien croqués et fort vraisemblables (hélas, pourrait-on dire dans plusieurs cas !). Le contraste calculé entre le réalisme du décor et des personnages d’une part, et l’improbabilité des opérations de sorcellerie d’autre part, contribue à conférer une vague vraisemblance à ces dernières. Enfin, modérément quand même. On sent que ce récit va tourner, partiellement, au conte philosophique, mais attendons le Tome 2 !