En temps de guerre, un soldat obéit aux ordres.

Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre. Sa première édition date de 2011. Il a été réalisé par Yann (Yann Le Pennetier) pour le scénario et par André Juillard (1948-2024) pour les dessins et la mise en couleurs. Il comprend soixante planches de bande dessinée. Il se termine avec une liste de douze ouvrages consultés, une biographie de chacun des deux auteurs et leur bibliographie.


Israël, en juin 1948, dans un quartier de Tel-Aviv, les habitants vaquent à leurs occupations quotidiennes dans la rue, quand soudain retentit la sirène signalant une attaque aérienne. Un homme crie qu’il s’agit de l’aviation égyptienne, encore elle. Une femme fait descendre son enfant du bus pour qu’ils se mettent à l’abri. L’escadrille d’avions survole la ville et lâche ses bombes. Soudain, les avions de l’Israeli Air Force apparaissent dans le ciel et contrattaquent, chassant les ennemis et se lançant à leur poursuite. Ils parviennent à en abattre deux, et les autres s’éloignent hors de portée. L’un des pilotes se félicite : quelle débande ! Des Spitfire égyptiens descendus pas des Messerschmitt ornés de l’étoile de David ! Mais un autre pilote signale qu’un avion de leur formation a été abattu et que le sien est incontrôlable. Ils rentrent à l’aéroport de Herzliya, au nord-est de Tel-Aviv, la base du Squadron 101. Le mécanicien Samuel se précipite vers le premier chasseur à atterrir, celui de Björn : il demande ce qu’il est arrivé aux deux autres Mezek. Le pilote répond qu’il se sont crashés. Soudain l’avion de Max atterrit en faisant une culbute, l’avion prend feu, le pilote meurt prisonnier du cockpit alors que son avion explose.


Modi Alon, le commandant de la base fait le bilan de cette sortie avec Björn et Jackie Moggridge qui est en train de le panser : C’est une catastrophe ! Il continue : Trois appareils perdus en une seule opération, sans compter les précédents, le tiers de leurs chasseurs en état de combattre, l’Israeli Air Force ne peut pas se permettre une telle hécatombe. Björn fait observer qu’il ne faut pas oublier la mort de trois excellents pilotes. Le commandant se montre plus dur : Des mercenaires qui savaient ce qu’ils risquaient et qui étaient grassement payés pour le faire ! Il explique : À cause de l’embargo international, il est beaucoup plus facile pour Israël d’acheter des pilotes que des appareils. Il continue : il s’agissait de mercenaires comme Björn. Ce dernier répond qu’il sait parfaitement ce qu’il a à faire, le problème ce sont ces maudits Mezek, ces foutus Tchèques leur ont vendu à prix d’or des cercueils volants. Alon rétorque qu’ils n’ont pas eu le choix. La Tchécoslovaquie a accepté de leur vendre des chasseurs malgré le blocus. Alors même si ces satanés engins ne sont pas absolument casher, c’est tout ce qu’ils ont pour défendre le pays et les pilotes devront continuer à faire avec. La base attend une nouvelle livraison de quinze de ces Mezek démontés et transportés clandestinement de la base tchèque de Zatec jusqu’à Tel-Aviv. Le commandant compte sur Björn pour respecter son contrat et apprendre à ses pilotes à dompter ces satanées mules.


Un titre énigmatique, un dessin cryptique (Il va être question d’un avion à hélice ?), mais aussi la promesse d’une bande dessinée ambitieuse créée par deux auteurs de renom publiée dans une collection prestigieuse. Les premières scènes permettent au lecteur de se faire une idée : une narration visuelle de type descriptive et réaliste, un récit ancré dans une réalité historique très précise. La création de l’état d’Israël a été proclamée le 14 mai 1948 par David Ben Gourion (1886-1973), au terme du mandat britannique, conformément au Plan de partage de la Palestine voté par l’ONU le 29 novembre 1947. Le lecteur se trouve vite confronté à un certain de mots qui lui parlent plus ou moins, en fonction de sa familiarité avec l’histoire de cet état, la situation géopolitique de 1948, et des termes hébreux. Pour ces derniers, le scénariste les traduit en bas de page : Egrof (poing), Be hezrat (Si Dieu le veut), Shiksa (jolie fille non-juive), Kugel (dessert hébreu), Schlemiel (abruti), Sodi beyoder (top secret), Hitsk (tête brûlée), etc. Pour les forces politiques et militaires en présence, en revanche, elles sont mentionnées dans les conversations, par des personnages qui savent de quoi ils parlent, sans incorporer artificiellement des explications dans les dialogues ou des cartouches de texte. Charge au lecteur de savoir ou de se renseigner sur différentes dimensions historiques. À commencer par la guerre israélo-arabe de 1948-1949, dont les tout premiers jours voient le bombardement de Tel-Aviv par des avions égyptiens, ce qui correspond à la scène d’ouverture de la bande dessinée.


De la même manière, le scénariste évoque les faits et le contexte de l’époque comme étant connus de tout le monde, ainsi que les différentes institutions et organisations. Il est possible que le lecteur soit amené à se renseigner plus avant sur la Ligue des États arabes (fondée le 22 mars 1945), sur la Haganah et son lien avec la Force de défense d’Israël, sur l’Irgoun (Irgoun Zvaï Leoumi, organisation militaire nationale) fondée par Menahem Begin (1913-1992) et les convictions politiques de celui-ci, le Palmach (une force paramilitaire juive sioniste de Palestine mandataire), sans oublier le Sha’y (service de renseignement et de contrespionnage de la Haganah). Il suffit au lecteur de situer ces organisations de manière grossière pour que le récit lui soit intelligible, sinon certains enjeux lui resteront nébuleux. D’un autre côté, des notes en bas de page ou des remarques des personnages viennent expliciter d’autres éléments comme Kaddish (prière des morts), Kadap (technique d’autodéfense ancêtre du Krav Maga), Pancake (atterrissage en catastrophe), IAF (Israeli Air Force), et même de manière inattendue la référence à Mary Poppins (personnage principal du film de 1964, du même nom produit par les studios Disney).


Par comparaison, le scénariste et le dessinateur se montrent beaucoup plus didactiques pour tout ce qui relève des avions de chasse et des bombardiers de ce récit. Ils établissent le contexte du Squadron 101 : formé le 20 mai 1948, six jours après qu'Israël a déclaré son indépendance, et la constitution de son équipe de pilotes comprenant à la fois des Israéliens et des mercenaires. Ils expliquent la provenance des chasseurs, ainsi que les difficultés techniques de leur pilotage. Ils développent le mot utilisé pour le titre, une mule, appliqué aux Messerschmitt fabriqués dans une usine tchécoslovaque et livrés en Israël, par un subterfuge à base de fausse société de production de films. Grâce à eux, le lecteur assiste à livraison du premier avion bombardier pour l’escadron : un B-17, aussi connu sous le nom de Forteresse volante, construit par la société Boeing. Il est également question de la livraison des premiers (Supermarine) Spitfire de conception et de fabrication britanniques. Il ne manque à l’appel que l’appellation spécifique desdits Messerschmitt construit en Tchécoslovaquie : Avia S-199. Le lecteur peut compter sur le dessinateur pour des représentations précises et authentiques de ces différents avions. Il remarque également le soin apporté aux autres moyens de locomotion : modèle d’autocar, modèle des avions égyptiens, véhicules militaires de transport, blindés, moto de Björn, Jeep et même un moteur de Mezek démonté. Juillard utilise un trait très fin et très précis pour détourer les formes, avec parfois quelques traits secs pour donner un peu plus de relief, ou marquer des plis sur les vêtements.


Le lecteur déguste les dessins qui présentent une forte filiation avec la ligne claire : trait noir d'épaisseur régulière pour tous les éléments de dessin, pas d’ombre dessinée pour les personnages (mais présentes pour les véhicules), uniquement des cases rectangulaires disposées en bande, se permettant la fantaisie d’une poignée de cases en insert. Pour autant, l’artiste a choisi de s’affranchir de la limite des couleurs en aplats pour introduire des nuances plus foncées venant rehausser le relier des formes, et marquer l’ombre des personnages. Ainsi la narration visuelle semble s’apparenter à un reportage en prises de vue réelle, ce qui place le récit sur le plan du témoignage en (quasi) temps réel, avec l’avantage d’un placement de caméra le mieux choisi par rapport au moment de chaque scène. Le lecteur se rend compte que la narration visuelle semble presque épurée, avec des cases lisibles au premier coup d’œil, et que dans le même temps, elle apporte énormément d’élément d’informations qui viennent compléter les dialogues, sans redite. Il peut ainsi apprécier les paysages des différents lieux d’Israël, allant de la base du Squadron 101 assez spartiate, aux bains de minuit. Le dessinateur place ses personnages dans le même registre réaliste, avec une discrète touche romanesque pour Björn et certains paysages féminins, ainsi qu’une sensualité inattendue à l’occasion des bains de minuit.


Le scénariste dirige une distribution d’une dizaine d’acteurs pour les rôles principaux, et le dessinateur leur donne une apparence différenciée, ainsi que des expressions de visage dans un registre adulte, qui font parfois apparaître une émotion non contrôlée, à la suite d’un événement traumatisant, ou une découverte générant une vive surprise. Ainsi la vie personnelle de chaque personnage se trouve façonnée par ces circonstances exceptionnelles : les premières semaines de vie d’un nouveau pays qui est déjà en guerre. La trame de fond évoque la naissance d’une nation, la constitution de son armée, les conséquences de l’embargo, le rôle des Nations Unies, et en sous-entendu l’espoir d’une paix mondiale. De manière organique, chacun des principaux personnages incarne une origine différente. Des Juifs vivant déjà dans la région avant la création de l’état d’Israël, totalement légitime dans le rôle de militaire défendant son pays, voire même obligé par les circonstances à endosser ce rôle. S’il en a la curiosité, le lecteur découvre que Modi Alon (1921-1948) a réellement existé : un pilote de chasse israélien, commandant d’un escadron de chasse ayant participé au premiers combats de l'IAF le 29 mai et le 3 juin 1948. Björn a le statut de mercenaire étranger au sein de cet escadron, avec une histoire personnelle très particulière pendant la seconde guerre mondiale. Il y a un Juif américain qui se retrouve à être mercenaire également, une combattante du Plamach, etc. Le lecteur voit la diversité des origines des combattants côté israélien.


La couverture promet vaguement une histoire de guerre sans beaucoup plus de précision. La narration visuelle emporte tout de suite le lecteur à Tel-Aviv en 1948 : un lieu et une époque bien définis, avec des dessins minutieux réalisant une reconstitution historique solide et facile à lire. L’intrigue se déroule au tout début de la guerre israélo-arabe de 1948-1949, aux côtés du premier escadron de l’armée de l’air israélienne. Sous réserve qu’il dispose de quelques connaissances sur cette période à cet endroit du globe, le lecteur découvre un récit intégrant plusieurs dimensions : reconstitution historique et mission épineuse pour arrêter l’Antinea, difficultés à surmonter pour faire exister cette armée de l’air, réalité de la diversité des vies des êtres humains attachants constituant ladite armée, se retrouvant à défendre l’état d’Israël contre un ennemi extérieur, et un risque intérieur. Une réalité complexe.

Presence
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le 2 nov. 2024

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