Ce tome fait suite à DMZ tome 7 (épisodes 35 à 41) qu'il faut avoir lu avant. Il contient les épisodes 42 à 49, initialement parus en 2009/2010, écrits par Brian Wood, avec une mise en couleurs réalisée par Jeromy Cox, et des couvertures réalisées par John Paul Leon. Il contient deux histoires.


Épisodes 42 à 44 : dessins et encrage de Ryan Kelly. Dans une grande pièce déserte, dans un haut étage d'un gratte-ciel, Tony M. participe à un groupe de parole, avec neuf autres hommes, tous d'anciens policiers, avant le déclenchement de la seconde guerre civile américaine. Il raconte comment il a perdu sa femme Maribeth et leur fille quand la cité a été évacuée. Les autres l'écoutent en silence le visage fermé, mais avec de la compréhension et de l'empathie dans leur regard. Au temps présent, en plein cœur de la zone démilitarisée de Manhattan, Tony est debout au milieu d'une rue où se tient un marché, sous la pluie. Son imperméable en cuir est entrouvert et il est visible qu'il porte une ceinture d'explosifs. Le groupe de parole se tenait 6 fois par semaine, conformément aux ordres de l'organisation et chaque participant racontait son histoire à tour de rôle. Ils dormaient le jour et réalisaient des opérations de terrain la nuit à partir de 16h00, par rotation.


Régulièrement, Brian Wood quitte Matty Roth le temps de quelques épisodes pour s'intéresser à d'autres personnages dans la série. Le lecteur sait que ces respirations permettent à Riccardo Burchielli d'avoir le temps de dessiner les épisodes suivants, sans les bâcler, mais il sait aussi que le personnage principal est bel et bien présent dans ces histoires qui ne peuvent pas être réduites à des interludes de circonstance. Dès la cinquième page, le lecteur découvre quelle est la finalité de la progression de Tony dans cette organisation dont le récit ne dit pas grand-chose. Le lecteur suit donc les pas d'un individu physiquement costaud, traumatisé par la phase de transition entre Manhattan, quartier de New York comptant environ 1.600.000 habitants, et une zone démilitarisée ne comptant plus qu'entre 200.000 et 400.000 habitants, à la suite de l'institution de la zone et son évacuation brutale. Le titre est également sans appel : pas de futur. Pour autant, la narration n'est pas larmoyante ou désespérée. Tony continue de vivre sa vie, de se plier au rituel du groupe de parole, de respecter le rythme régulier des journées, de suivre les ordres, d'entraider ses compagnons avec qui il partage des épreuves communes. La hiérarchie n'a rien de caricaturale : ni invisible, ni tyrannique ou sadique. Il mène une existence structurée, régulière, avec des amis, des tâches qui ont du sens, un traumatisme lourd à porter mais pas incapacitant.


Ryan Kelly est un artiste qui a régulièrement collaboré avec Brian Wood, pour des histoires comme Local, New York Four, New York Five, Northlanders et Star Wars. Ses dessins sont précis et détaillés : les étals du marché découvert, les façades des gratte-ciels, les armes à feu, les pièces très fonctionnelles dans lesquelles les membres de cette milice vivent. Il représente des individus ordinaires et normaux, sans qu'ils n'en deviennent génériques ou interchangeables. Éventuellement, le lecteur peut sourire en relevant les points de similitude entre Tony et Frank Castle : sa carrure, son long imperméable noir, la perte de sa femme et de sa fille, son visage fermé et son quotidien cadré par une discipline rigoureuse. Il semble évident que Ryan Kelly fait des efforts pour éviter que ses dessins ne soient trop doux, sans pour autant donner l'impression de se forcer, juste de faire un effort conscient. La narration visuelle est claire, les cases sont denses et restent facilement lisibles, inscrivant l'histoire de Tony dans une forme de reportage descriptif, ancré dans une réalité normale et tangible, totalement en phase avec la nature de l'histoire. Du coup, le lecteur accompagne Tony M. en le regardant comme un individu plausible et presque banal, unique et doté d'une solide constitution, clair dans sa tête et de nature posée, capable de passer en mode action de façon efficace et réfléchie, l'opposé d'un fou furieux incontrôlable. Ayant tourné la dernière page, le lecteur prend un peu de recul et constate la nature de ce qu'il vient de lire : un individu normal et intelligent, qui se fait sauter, ce que les médias présenteront comme un terroriste suicidaire. Une histoire racontée de manière prosaïque, une humanisation évidente, débarrassée de tout cliché, à l'opposé d'une histoire bouche-trou bâclée.


Épisodes 45 à 49 : dessins et encrage de Riccardo Burchielli. Matty Smith est venu recruter le tireur d'élite qui veille sur tout un quartier de Manhattan. Il retourne ensuite dans son appartement à Chinatown et récupère ses affaires, sans oublier son fusil automatique. Son chauffeur est venu le chercher et lui fait observer qu'ils sont 5 minutes en retard par rapport à l'ultimatum. Une fois sur place, Matty Roth effectue sa déclaration publique devant les médias en cinq minutes : la nation de Parco Delgado dispose de l'arme atomique. Il ne répond à aucune question. L'animateur de la radio libre de la DMZ commente ensuite, en rappelant qu'il y avait avant 1,6 millions d'habitants à Manhattan, qu'il en reste au mieux quatre cent mille. Il évoque le fait que l'élection de Delgado a permis de dépasser une société clivée par des questions de race. Il espère que l'annonce de Roth permettra de dépasser l'âge de la bombe atomique. Peu de temps après, Matty Roth a un entretien avec le maire Parco Delgado. Ce dernier lui demande de se mettre au boulot sur deux choses : tout d'abord instaurer un média au sein de la zone démilitarisée, ensuite éviter que les gardes du corps de Matty n'occasionnent trop de dommages collatéraux.


Dans le tome précédent, Matty Roth avait quitté la position neutre du journaliste pour s'engager politiquement. Il s'agissait d'une évolution cohérente du personnage, lassé de se faire manipuler par toutes les factions magouillant au sein de la zone démilitarisée, révolté de voir la population instrumentalisée par les deux pouvoirs s'opposant dans la guerre civile, ainsi que par les différents groupes armés, et les grosses entreprises faisant tout pour mettre la main sur le marché de la reconstruction, pour des questions de profits, sans aucun égard pour la population, sans aucune notion d'intérêt public. Bien évidemment, Matty Roth ne souhaitait pas non plus devenir le jouet du chef élu de la DMZ, et avait dû batailler pour se faire reconnaître comme un membre de son équipe, et acquérir un degré d'autonomie réelle. Au début de ce chapitre, il est presque là où il voulait : il est un collaborateur direct de Parco Delgado, il bénéficie d'une autonomie suffisante pour prendre des initiatives, et il dispose d'un groupe d'individus armés à ses ordres. Il parvient à recruter Angel, le tireur d'élite, ainsi que sa copine Claire, membre des Forces Spéciales. Il peut enfin commencer à agir pour l'intérêt de la population (traquer et éliminer les trafiquants de drogues) et un peu pour les siens (venger Kelly Connolly).


Bien sûr ce changement de positionnement (de journaliste neutre à un poste de responsabilité au sein du pouvoir en place) a eu des répercussions en particulier sur son entourage proche, à commencer par Zee Henrnandez qui a préféré prendre du recul en passant de l'autre côté de la frontière de la DMZ, mais aussi sur Angel qu'il a recruté comme subalterne. Riccardo Bruchielli est de retour pour ces 5 épisodes, ses dessins étant toujours complétés par les couleurs de Jeromy Cox. Le lecteur observe que ce dernier maîtrise de mieux en mieux les différentes possibilités de l'infographie, nourrissant les surfaces détourées avec des nuances de couleurs rehaussant les reliefs, et apportant également des textures. De temps à autre, il donne l'impression de trop en faire : les informations de la mise en couleurs passant au premier plan, et reléguant les dessins encrés au deuxième plan, ce qui donne une impression plus chargée, diminuant le degré de spontanéité de la narration visuelle. Burchielli semble avoir gagné dans sa maîtrise de l'utilisation des variations d'épaisseur des traits de détourage, donnant une sensation plus organique à ce qu'il représente. Les rues et les gratte-ciels de Manhattan sont toujours aussi réalistes et concrets, donnant une présence plausible et palpable à la DMZ comme personnage. Son talent de costumier se déploie en toute discrétion, avec des tenues vestimentaires adaptées aux conditions climatiques, reflétant la condition sociale de chaque protagoniste, avec des touches personnelles. Le lecteur sourit à chaque fois en découvrant une nouvelle tenue de Parco Delgado, un mélange d'influences au goût discutable. L'artiste réalise des dessins avec un bon niveau de détails, intégrant des éléments conférant à la fois une unicité à chaque plan, et montrant des éléments informatifs sans être génériques. La solide densité d'informations visuelles concourt à ce que le lecteur éprouve la sensation d'évoluer dans un environnement urbain chargé et compact.


Le précédent tome avait franchi un palier : Matty Roth ne se cantonne plus à effectuer une mission après l'autre, en réaction aux événements. Ce nouveau chapitre continue dans cette lancée : il concrétise son engagement auprès de Parco Delgado en utilisant les moyens à sa disposition au profit du peuple, avec l'amélioration des conditions de vie comme objectif, dans le principe du bien de la communauté. Riccardo Burchielli donne à voir une ville dense et des individus s'étant adapté à leur environnement. Le lecteur plonge dans un roman noir avec une touche d'anticipation (la seconde civile des États-Unis), en suivant un personnage faisant de son mieux, avec des résultats catastrophiques.

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le 4 sept. 2020

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