Océan
6.8
Océan

Comics de Warren Ellis et Chris Sprouse (2010)

Science-fiction intelligente

Ce tome regroupe les 6 épisodes de la minisérie initialement parue en 2004/2005. Il constitue une histoire complète et achevée.


Dans 100 ans, sur Europe (l'un des satellites de Jupiter), un vaisseau de reconnaissance s'enfonce sous la couche de glace et découvre des sarcophages abritant chacun une forme de vie humanoïde. Une semaine plus tard, sur Terre à New York, Nathan Kane se rend au départ de la navette pour l'espace. Il est chargé par les Nations Unies de répondre à l'appel des scientifiques dans la station spatiale en orbite au tour d'Europe, ceux qui ont effectué cette découverte. Lors de son transfert d'un vol à un autre sur Deimos, il est victime d'un attentat contre sa vie. Il s'en sort mais s'interroge sur le motif de cette agression. Arrivé au satellite laboratoire autour d'Europe, les scientifiques lui présentent et lui expliquent l'ensemble des informations disponibles. Ils précisent qu'une station spatiale appartenant à la multinationale Doors (spécialisée dans les technologies de communication) a intercepté leurs relevés télémétriques et que ses salariés s'apprêtent à les prendre de vitesse pour s'emparer de la technologie extraterrestre disponible sous l'épaisse couche de glace.


Il m'aura fallu un peu de temps pour apprendre à apprécier les histoires de Warren Ellis. Cette familiarité acquise et la qualité intrinsèque de cette aventure me font dire qu'il s'agit là d'un excellent récit de science-fiction, et d'un très bon scénario d'Ellis. Il a choisi de privilégier les éléments de science-fiction, en réduisant d'autant la part d'action. Ça ne veut pas dire qu'il n'y en a pas du tout (le dernier épisode est tout entier consacré à l'action et aux affrontements armés), mais plutôt qu'il a accordé un soin particulier à développer les éléments futuristes du récit. Ce vieux roublard d'Ellis donne une occupation parlante à Nathan Kane pendant les voyages : il lit un vrai livre sur les premiers vols spatiaux, soit ceux de la fin de notre vingtième siècle. Du coup, le lecteur perçoit tout de suite la passion d'Ellis pour l'aventure spatiale et éprouve une forte empathie pour ce personnage qui lui-même s'associe au sentiment de respect devant ces aventuriers qui osaient s'élancer dans l'espace à bord de fusées si fragiles. Ensuite, Ellis a bâtit un récit qui comprend un nombre suffisamment conséquents d'éléments pour que son histoire soit entièrement originale, malgré le postulat basique de départ : la découverte d'une nouvelle espèce. Il a effectué les recherches nécessaires pour que sa description d'Europe soit assez proche de la réalité, et non pas un planétoïde générique, sans aucune particularité. Il demande à son lecteur d'accepter la réalité du voyage spatial dans notre système solaire. Et à partir de là il a également effectué une projection plausible de l'évolution des relations entre les pouvoirs publics et le secteur privé (le nom Doors/Portes évoquant Windows/Fenêtres), pour un résultat personnel et très savoureux.


Cette histoire profite également énormément de l'équipe d'illustrateurs : Chris Sprouse (dessins) et Karl Story (encrages). Sprouse avait déjà travaillé pour illustrer les aventures de Tom Strong imaginées par Alan Moore ; ce n'est donc pas un amateur ni le premier dessinateur venu. Il utilise un style un peu épuré, à base de formes simples. Il évite les formes torturées ou trop complexifiées afin de faciliter la lecture et l'assimilation visuelle des images par le lecteur. Parfois ce choix de style peut sembler tout juste suffisant. Je pense en fait uniquement à la séquence d'ouverture sur une première page qui n'est que du bleu avec quelques tâches. Mais pour le reste, c'est un style qui fait apparaître chaque case toute simple, alors que chaque élément est précisément à sa place et que le niveau d'informations visuelles est assez élevé. Sprouse a choisi de privilégier les cases de la largeur de la page (plus de la moitié des cases). Mais il ne s'agit pas ici de glisser une tête au milieu de la case et puis c'est tout (oui, je pense à John Cassaday), Sprouse répartit l'information dans l'ensemble de la case. Chaque chapitre s'achève sur une page qui reproduit quelques croquis préparatoires qui attestent du travail de conception effectué avant la mise en images de l'histoire proprement dite. Le résultat graphique aboutit à des images qui privilégient l'atmosphère de chaque scène, plutôt que l'aspect technologie en folie. Le lecteur pourra éventuellement regretter l'aspect un peu top propre sur lui des décors et des vaisseaux. Mais l'histoire d'Ellis ne s'inscrit pas dans la tradition des récits qui mettent en avant les masses laborieuses et l'usure de la technologie face au vide de l'espace.


Warren Ellis (bien épaulé par Chris Sprouse) invite le lecteur dans un récit de science-fiction presqu'à l'ancienne où l'espace recèle des mystères insondables qui ont une incidence sur le sens de la vie humaine. Le sens du merveilleux est réveillé avec intelligence, la personnalité des protagonistes est révélée par leurs actions et leurs interactions, l'action ne phagocyte pas le récit et elle sait être à (très) grand spectacle. Ellis sait limiter ses extrapolations technologiques pour ne pas perdre le lecteur ; il réussit même à éviter les longues pages de dialogues. Les illustrations sont au service du récit, avec ce qu'il faut de personnalité et de détails. Un sans faute.

Presence
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le 1 janv. 2020

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