Ce sont deux robots de service, Tonto, bavard, et Lothar, simplet, qui entraînent le lecteur dans la généalogie du Méta-Baron de L’Incal. Dans l’attente du retour de leur maître, l’un narre à l’autre



l’épopée mythique d’une lignée d’impressionnants guerriers



en commençant aux origines lointaines et formelles d’une caste en devenir.
Avec ce premier tome d’une œuvre majeure, Alejandro Jodorowsky explore l’ensemble des influences fantastiques qui composent son univers déjanté et pose les bases d’une longue et passionnante série de science-fiction, indispensable à tout lecteur averti. D’autant plus indispensable que l’auteur y convie son compère Juan Gimenez à l’illustration pour produire, encore aujourd’hui, une des plus belles œuvres du genre. Un classique, assurément.


Le dessinateur impose son style dès la première page, pleine, sur un décor fourmillant de détails digne des complexes urbains de Star Wars, et qu’on retrouve aujourd’hui partout : bandes-dessinées mais cinéma et télévision également. Les paysages, les plans de vaisseaux dans l’espace à l’approche d’une planète, les décors immenses autant que les plus intimistes, tout participe d’un travail minutieux, soucieux de véracité et empreint d’une certaine magie narrative. Rapidement, Tonto raconte la mutilation de son maître à peine âgé de dix ans, et c’est l’occasion pour Juan Gimenez d’une superbe séquence de gros plans alternés entre le père et le fils, juste déclinaison d’un même visage. Encore une fois, d’emblée, le dessinateur éblouit le lecteur et l’entraîne dans



une galerie d’exception.



Côté scénario, Alejandro Jodorowsky impose Othon comme personnage central et



mythe fondateur de la lignée.



Rescapé miraculé, et contrarié, d’un accident qui aurait dû le laisser pour mort, l’homme reprend fièrement la tête d’une famille qui n’est que celle de son épouse et, après le sacrifice de celle-ci, mène les troupes du clan, de la caste, à la victoire dans un combat qui semblait pourtant perdu d’avance. On retrouve alors le goût de l’héroïsme bravache de l’auteur et l’on apprécie la fluidité des évidences du récit (ce qui n’est pas toujours le cas chez Jodo). Dans une guerre pour l’exploitation commerciale d’une huile ancestrale aux vertus surnaturelles, trésor familial dévoyé par nécessité, les drames rythment l’épopée tragique grâce à laquelle le trisaïeul forge son caractère trempé et réfléchi. Calme dans la tempête, fureur sur l’accalmie, et l’on pense à L’Art de la Guerre de Sun Tzu dans l’intelligence d’un héros qui jamais ne se laisse aller aux sentiments quand bien même ceux-là l’écorchent profondément, le remuent de colère ou de rage. Au bout du chemin, une ombre de plus dans l’existence pathétique du personnage :


Othon finit par assassiner son propre fils, chair de sa chair, lors qu’il est en chasse pour le protéger,


et Jodorowsky insiste alors un peu plus encore sur le mythe en se créant un cliffhanger filial au suspense fort.


Le premier tome de La Caste des Méta-Barons augure d’une magnifique série grâce à un rythme infernal merveilleusement mis en page : le scénario d’Alejandro Jodorowsky réussit à se concentrer sur l’essentiel en jouant d’ellipses sans jamais perdre le fil principal d’une trame simple, et les dessins fins et précis, détaillés avec soin, de Juan Gimenez donnent vie à des caractères durs, costauds, épais, avec justesse. Le film est là, puissant et épique, magnifique d’envolées martiales et de paysages stellaires, autour d’une vie digne des plus grands héros des mythologies gréco-romaines, dans un univers dément, sanglant, parfaitement assumé dans la douceur des aquarelles de l’illustrateur.



Solide socle pour la généalogie à suivre.


Matthieu_Marsan-Bach
8

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le 30 mai 2016

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