Si l’on peut légitimement se montrer suspicieux vis-à-vis des ouvrages de commande, il arrive parfois que ceux-ci se révèlent de bonnes surprises, et c’est le cas avec cet hommage à Patrick Dewaere. Glénat a eu l’idée de lancer en 2019 une collection sur les grands noms du cinéma. Après Truffaut, Hitchcock, Sergio Leone, passés largement inaperçus, et un Lino Ventura pas vraiment réussi, c’est l’acteur français qui fait l’objet d’un biopic, un acteur demeuré culte pour bon nombre d’entre nous.
Disparu beaucoup trop tôt à l’âge de 35 ans, l’acteur avait choisi de mettre fin à ses jours, plongeant ses admirateurs dans la sidération. Et pourtant, Dewaere, cet enfant terrible du cinéma, était au bout du rouleau, souffrant de la direction que prenait sa carrière et du manque de reconnaissance de ses pairs. Abonné aux rôles de dépressifs ou de losers, ce beau gosse au cœur tendre et un brin allumé, n’avait peut-être pas su, malgré son immense talent, prendre suffisamment de recul avec ses personnages qu’il savait incarner avec toutes ses tripes et chaque fibre de son corps, à un niveau sidérant…
C’est LF Bollée, scénariste de « Terra Australis » et de « La Bombe », une œuvre monumentale sortie récemment et acclamée par la critique et le public, qui s’est investi dans le projet. Fan de la première heure, Bollée a choisi comme narrateur du récit Dewaere lui-même. Celui-ci évoque ainsi son propre parcours depuis la tombe, ce qui nous rend encore plus proche ce comédien unique et hyper attachant. Le scénariste a évité le piège de la biographie scolaire propre à ce genre d’ouvrage, en évitant toute linéarité et en insérant des flashbacks relatant des anecdotes sur le jeune Patrick, lorsqu’il s’appelait encore Bourdeaux. En effet, ce patronyme n’était pas celui de son père biologique, qui avait abandonné sa mère à peine enceinte, mais celui de l’ex-mari de cette dernière… Bref, une histoire compliquée qui n’a pas dû aider le jeune homme à se construire, d’où, fort logiquement, le choix d’un pseudo, ou plutôt de deux pseudos successifs, car avant d’être Dewaere, il fut Patrick Maurin. Au fil des pages, on voit défiler ses proches et ceux qu’il a cotoyé lors de tournages, Depardieu bien sûr, mais aussi Miou-Miou, Gainsbourg, Coluche, Lino Ventura, Bouchitey et d’autres, ainsi que plusieurs réalisateurs dont Bertrand Blier, Claude Sautet, Yves Boisset et Claude Miller. On se remémorera par ailleurs cette fameuse et troublante diatribe sur Mozart dans « Préparez vos mouchoirs » qui fait dire à Dewaere : « Tu parles ! Le pauvre mec, il est mort à 35 ans ! 35 ans ! Non mais tu te rends compte de la perte ?! Quelle époque de con ! On claquait pour un rien ! ». Quatre ans après le tournage, la faucheuse emportait l’acteur à l’âge de… 35 ans…
On appréciera le dessin de Maran Hrachyan, jeune autrice d’origine arménienne, qui tout en se pliant à l’académisme requis pour ce genre d’ouvrage, réussit à imposer un peu de sa touche personnelle, en particulier dans la mise en couleurs. Bien sûr, les visages, bien que ressemblants, restent quelque peu figés. Mais la technique du pastel démontre son talent et confère une belle douceur au récit, pour un personnage qui n’en manquait pas mais, tel l’écorché vif qu’il était, apparaissait souvent fébrile dans ses films, telle une grenade dégoupillée.
Il y a donc pas mal de choses que l’on apprécie à la lecture de cet ouvrage, d’autres moins. L’épilogue onirique entre Dewaere et Depardieu, éternels frères ennemis, duo mythique des « Valseuses », est plutôt touchante. On y trouve un certain nombre d’anecdotes intéressantes, mais on regrettera toutefois l’absence de sources, avec au début un seul avertissement selon lequel l’œuvre est à la fois « une œuvre de fiction (…) et inspirée de faits réels et de personnages ayant existé ». Même s’il est honnête de le préciser, cela reste tout de même un peu léger pour une biographie. Il n’empêche que les inconditionnels de l’acteur, dont je fais partie, devraient apprécier cette lecture, même s’il n’est pas question de la porter aux nues.