Ce tome fait suite à Point de non-retour (épisodes 73 à 78). Il contient les épisodes 79 à 84, initialement parus en 2011, écrits par Robert Kirkman, dessinés et en encrés par Charlie Adlard, avec des nuances de gris appliquées par Cliff Rathburn.


Rick Grimes et Andrea se tiennent dans l'enceinte d'Alexandria, devant la grille guettant des signes de présence humaine à l'extérieur. Rick la remercie pour son tir de précision qui lui a sauvé la vie. Ils voient arriver Aaron à cheval, complètement catastrophé. Il transporte Eric derrière lui, visiblement sévèrement blessé. Une fois dans l'enceinte, ils emmènent Eric auprès de la docteure Denise Cloyd qu'ils trouvent en compagnie de Heath. Morgan vient retrouver Michonne dans son pavillon. Rick va rejoindre son fils Carl dans leur pavillon, pour prendre son petit déjeuner. Quelques zombies continuent d'arriver à la grille de l'enceinte, Abraham Ford se chargeant de les éliminer. Jessie Anderson vient prendre des nouvelles de Rick à son domicile.


Aaron va trouver Douglas Monroe pour lui indiquer qu'il ne souhaite plus réaliser de mission de recherche de survivants pour les évaluer avant intégration potentielle à la communauté. Devant l'arrivée régulière de quelques zombies, Abraham Ford organise un groupe de quelques individus pour les tuer. Ils se séparent en 2 groupes pour faire le tour de l'enceinte d'Alexandria. Ils prennent rapidement la mesure de l'ampleur de l'afflux de zombies. Avec l'assentiment de Douglas Monroe, Rick Grimes retrouve la place qui lui est naturelle. Il rassemble les membres de la communauté pour faire le point sur la situation et pour organiser la surveillance de l'évolution de cette nouvelle crise, et éventuellement mettre en œuvre des actions adaptées.


Depuis 2 tomes, Robert Kirkman avait préparé la catastrophe qui atteint la communauté d'Alexandria : les zombies sont de retour. Il reprend donc son schéma narratif habituel : un calme qui s'installe, et un bouleversement qui vient réduire à néant tout projet à moyen ou long terme. Le lecteur n'est donc pas tellement surpris que les zombies viennent toquer à la porte de cette communauté bien installée. Cette menace alimente la dynamique du récit pour à la fois apporter de l'action, mais aussi pour pousser les personnages dans leurs retranchements. Depuis le début, le scénariste nourrit le développement de ses personnages sur le principe que les risques qu'ils courent renforcent la dimension émotionnelle de leur existence. En particulier, dans les premiers tomes, le lecteur ne pouvait pas ignorer l'activité sexuelle de plusieurs couples pérennes ou non, activité plus ou moins responsable au vu de l'incertitude du lendemain, mais constituant l'expression de l'élan vital des individus placés dans une situation de danger permanente. En outre, les liens affectifs noués en période de crise présentent une solidité beaucoup plus forte que ceux développés dans la banalité du quotidien.


Sous réserve d'accepter ce principe émotionnel, le lecteur n'est pas surpris des rapprochements qui s'opèrent dans ce tome. Robert Kirkman reste fidèle à son habitude avec une narration assumant ses gros sabots. Le lecteur de passage peut s'offusquer de l'attitude exagérée de Jessie Anderson. Celle-ci va trouver le meurtrier de son mari pour se placer sous sa protection, une forme de soumission à l'alpha-mâle, très premier degré. Pour le lecteur de longue date, il reconnaît bien là tout le tact et la délicatesse du scénariste. Il reconnaît aussi le prolongement de thèmes déjà présents dans des tomes précédents. L'épidémie de zombies a provoqué l'effondrement de la civilisation moderne, et fait resurgir des comportements ataviques. Ce n'est pas la première fois qu'une femme recherche la protection d'un homme fort, capable de défendre physiquement sa famille. Mais il ne faut pas y voir une pensée phallocrate réductrice, car Kirkman a également montré d'autres hommes s'en remettre à des plus forts pour les guider, leur dire quoi faire, et également les défendre. Il a également développé des personnages féminins très attachants, se montrant plus résistantes que des hommes, prenant l'ascendant sur leur conjoint ou sur un groupe d'hommes, et se montrant plus compétentes qu'un homme, ne serait-ce qu'au tir à l'arme à feu pour Andrea. Bien sûr, il est facile de pointer du doigt cette séquence, et de tourner en dérision un état d'esprit rétrograde. Mais replacé dans le contexte de ce récit au long cours, c'est une attitude parmi tant d'autres, pas plus critiquable que d'autres, pas plus improbable que d'autres. Charlie Adlard traite ces moments comme à son habitude : sur la base de têtes qui parlent dans des gros plans. Il est possible de critiquer cette mise en scène un peu minimaliste, mais dans ce cas précis cela installe une proximité avec les personnages, propice à l'intimité.


D'ailleurs, Kirkman n'a aucune intention de s'en tenir à un point de vue simpliste quant à cette attitude, ou s'en servir (uniquement) comme rebondissement narratif aussi pratique qu'artificiel. Ce choix compréhensible de Jessie Anderson, tout en restant étonnant, a des conséquences directes sur son fils qui se retrouve à devoir cohabiter avec le fils de l'assassin de son père. Bien sûr, le dessinateur reprend sa mise en page dramatisée pour montrer un affrontement de volonté, ou plutôt 2 êtres humains en total opposition émotionnelle, mais incapables de le verbaliser de manière constructive, incapables d'en parler, établissant juste un constat. À nouveau la dramatisation appuyée apparaît légitime dans cette séquence car elle permet de visualiser cette confrontation psychologique, et de voir qui a le dessus, simplement de manière visuelle, par les regards et les postures, soit une sensibilité graphique étonnante.


Effectivement, l'approche graphique de Charlie Adlard repose souvent sur des gros plans, sur des expressions de visage traduisant des émotions intenses et à fleur de peau. Or dans le contexte de la présence sous-entendue des zombies alentours, le lecteur comprend bien que ce danger de mort permanent avive les sentiments et les passions. Du coup ces regards appuyés, ces visages marqués et les postures expriment avec conviction la force le maëlstrom émotionnel dans lequel se retrouvent les personnages. Les dessins de Charlie Adlard permettent à cette intensité d'apparaître, donnant plus de conviction au récit de Robert Kirkman. Ainsi le lecteur ressent une empathie irrépressible avec lesdites émotions. Cela est vrai pour les principaux personnages que le lecteur côtoie depuis des dizaines d'épisodes, mais aussi pour les plus récents. Il est consterné de voir Douglas Monroe accuser le coup suite au sort de sa femme et à l'évolution de la communauté. Il comprend parfaitement l'état d'esprit d'Aaron qui va trouver Monroe pour lui expliquer qu'il ne souhaite pas continuer. Il comprend très bien les atermoiements de Morgan quant à sa relation vis-à-vis de Michonne. Il sourit même devant l'accès de volonté d'Eugene Porter lors de l'attaque des zombies. Finalement l'approche dramatisée de la narration de Charlie Adlard prend tout son sens pendant les moments de danger.


En outre, Charlie Adlard reste toujours aussi convainquant pour donner l'impression au lecteur de se trouver sur place. Il sait rendre compte de la banalité des lieux avec un évidence déconcertante. Le lecteur peut s'attarder sur les dessins et trouver qu'ils présentent un faible niveau de détails. L'artiste s'affranchit toujours de dessiner les arrière-plans pendant les séquences de dialogue. Il habille ses personnages avec des vêtements de tous les jours, fonctionnels. Les rues de la ville ne disposent pas de beaucoup de particularités. Les intérieurs des différents pavillons sont aménagés de manière impersonnelle, avec des meubles bon marché. Dans le même temps, le lecteur éprouve l'impression d'être présent sur les lieux, de marcher dans les rues de la ville, de se déplacer dans les pièces d'un pavillon, de faire le tour de la palissade à l'extérieur pour vérifier son état. Cela tient au choix des cadrages, ainsi qu'à la direction d'acteurs. Charlie Adlard trouve le bon point d'équilibre entre ce qu'il montre et ce qu'il sous-entend. La sensation de se trouver sur place provient également de la manière dont les personnages sont représentés en train d'interagir avec leur environnement, et non pas juste posés sur le devant d'une scène, avec une toile de fond pour tout décor.


Pour ce tome, Robert Kirkman poursuit le développement de ses personnages. Finalement plusieurs d'entre eux reconnaissent en quoi leur intégration dans la communauté d'Alexandria constitue une amélioration notable, pas seulement pour la sécurité, mais aussi pour la possibilité d'envisager de construire un avenir à moyen terme. Le lecteur note l'évolution de la situation des membres de la communauté de Rick Grimes qui sont passés de prisonniers volontaires dans un établissement carcéral à hôtes privilégiés dans un ghetto résidentiel pour classe aisée. Il soupire d'aise à voir Rick Grimes reprendre le premier rôle, celui qui lui revient de droit, puisqu'il est le personnage principal de la série, même si elle s'appelle The Walking Dead. D'une certaine manière, les choses rentrent dans l'ordre. Dans le même ordre d'idée, Rick Grimes reprend un positionnement dans lequel il prend les décisions qui engagent l'ensemble de la communauté. Au vu des réactions de différents personnages, à commencer par Douglas Monroe (le responsable de la communauté d'Alexandria), la majorité de la communauté valide ce positionnement de chef, sans modalité de choix démocratique. De manière implicite, l'ensemble de la communauté valide le principe d'une forme latente d'état d'urgence qui justifie qu'un seul individu puisse décider incontinent des actions à entreprendre.


Pourtant ce n'est pas un simple retour en arrière. En observant les personnages agir, à la fois dans leur répartition des rôles, mais aussi sous l'angle de leur langage corporel, le lecteur constate que plusieurs d'entre eux ont acquis des compétences qu'ils n'avaient pas au début de la série, avec l'assurance qui en découle. En conséquence de quoi, la dynamique du groupe a également évolué. Il suffit de prendre l'exemple d'Andrea dont les talents de tireuse d'élite en ont fait une membre légitime de l'équipe de Rick. Le lecteur prend plaisir à voir Abraham Ford reprendre confiance en lui. Il regarde avec plaisir Michonne apprécier ce que lui offre Alexandria. Outre sa relation avec Morgan, et son ascendant sur lui, Kirkman lui consacre un passage révélateur sur sa façon d'envisager la vie dans le contexte de l'épidémie de zombies. En prenant comme point de vue que l'épidémie a pour effet de ramener les individus vers l'essentiel de la vie, la déclaration de Michonne à Morgan permet de comprendre le mécanisme de résilience qui lui permet de continuer à avancer dans un tel environnement, après autant de traumatisme, en particulier aux mains du Gouverneur. La résurgence des zombies à proximité d'Alexandria contraint également plusieurs personnes à reconsidérer leurs priorités. Le lecteur retrouve la propension de certains à placer leur survie avant tout. D'un côté, Robert Kirkman répète régulièrement que le salut n'existe que dans la vie en communauté ; d'un autre côté la survie à court terme ne semble possible qu'en sauvant sa peau et en abandonnant les autres. Cela donne lieu à une séquence révélatrice au cours de laquelle Andrea affirme ses convictions de manière tranchée.


Or le lecteur se rend bien compte que la série The Walking Dead peut aussi bien être envisagée comme un récit de survie, comme un support d'analyse de la chose publique, des enjeux politiques d'une société, que comme une métaphore directe de la vie de tous les jours. Il peut se trouver un peu déstabilisé de prendre conscience que Robert Kirkman est en train d'exposer son crédo : la vie de l'individu n'est possible que dans le cadre de la vie en société, grâce à la force du nombre. C'est un parti pris peut-être étonnant que de voir un auteur exposer ainsi sa philosophie de vie sur la nécessité de bénéficier d'une société pour pouvoir vivre, sous la forme d'un récit de survie à base de zombies. Pourtant la question de la forme de la gouvernance est présente depuis le début, au moins dans les premiers stades d'une société. Si le lecteur considère les zombies comme une forme exagérée de remise en question des habitudes de la vie de tous les jours, comme peut l'être la perte d'un emploi, d'un être cher, une maladie, ou même des changements plus anodins, alors cette série est bel et bien une version juste plus pimentée de la vie de tous les jours. Ce dispositif narratif permet de considérer les éléments tenus pour acquis et les facettes les plus banales du quotidien sous un nouvel angle.


Avec cette idée en tête, les avanies subies par Carl Grimes deviennent une métaphore sur le développement de l'enfant, la construction de l'adulte en devenir. Peut-être est-ce le fil narratif le plus horrible de la série ? À nouveau, le lecteur peut voir les conséquences des événements sur la psyché de Carl. À nouveau les dessins dramatisés de Charlie Adlard rendent compte de l'intensité avec laquelle Carl ressent ces émotions qu'il ne sait pas gérer comme un adulte, un état lié à l'enfance. À nouveau, le lecteur est admiratif de la manière dont Robert Kirkman utilise l'effet cumulatif propre à la sérialisation pour montrer les conséquences de la succession d'épreuves subies par Carl. Il met aussi parfaitement en scène comment les enfants apprennent en observant le comportement des adultes, et reproduisent les mêmes schémas, ou au contraire font tout pour adapter leur comportement de manière à ne pas reproduire des schémas qui leur semblent odieux ou idiots.


Loin de faire du surplace ou pire de revenir en arrière, Robert Kirkman & Charlie Adlard continuent d'aller de l'avant en utilisant les spécificités des séries au long cours et de la bande dessinée pour sonder la condition humaine. Ils utilisent l'état d'urgence généré par le danger permanent des zombies pour grossir les réactions et remettre en cause la banalité, effectuant ainsi un commentaire dessus.

Presence
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le 21 juil. 2019

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