Jean-Pierre Gibrat, encore un auteur que je découvre, et ma foi, la pêche est bonne, en ce moment. Ce premier tome d'une aventure qui en comprend deux est tout à fait remarquable, et ce, dès le début. Ca commence en effet par une superbe première page, reproduisant la une de l'Humanité du premier août 1914 annonçant la mort la veille de son directeur fondateur, Jean Jaurès, opposant à la guerre.
Mattéo, c'est d'abord une trajectoire, celle d'un fils d'anarchiste espagnol échoué en France qui va se retrouver au cœur d'une guerre qui n'est pas la sienne. Mais c'est surtout l'histoire d'un amour, celle d'un homme qui s'engage dans la guerre malgré ses convictions, pour gagner l'amour d'une femme. Et une histoire de guerre, celle dont on espéra qu'elle fut la « der des ders » mais dont on sut plus de vingt ans plus tard qu'elle n'était que la première, une guerre cruelle, plus que d'autres, assurément, qui touche les soldats et la société dans son ensemble.
Cet album est très riche dans sa description globalement juste des dures réalités de la Grande guerre. Certes Gibrat reproduit le mythe du départ des soldats « la fleur au fusil », mais dans l'ensemble, sa présentation est assez fidèle à la réalité historique, évoquant une guerre qui n'est pas la même selon les classes sociales, et insistant sur la dureté du front et de la vie dans les tranchées : la boue gluante, les pluies glacées, des visions d'horreur avec des cadavres dans des barbelés, la tentation du suicide ou de la désertion, les fusillés, la nécessité de l'humour pour survivre, la dureté des gradés (« vous croyez qu'on va gagner cette putain de guerre le cul dans la rosée ? » ), l'usure des hommes (« la guerre faisait sa popote »), ces lettres dans lesquelles les soldats cachent la réalité à leurs proches, l'incompréhension des gens de l'arrière, l'impression pour les survivants d'être quand même morts.
L'arrière n'est pas oublié : « l'écriture au clairon des journalistes », les femmes inquiètes qui envoient des colis, le maire qui leur annonce les décès, le manque de main-d'œuvre, aussi.
Serait-ce donc une énième bd sur la première guerre mondiale ? Non. S'il est bien sûr question de la guerre, ce n'est pas une bd sur la guerre, le tome deux le démontre, c'est beaucoup plus riche, il est surtout question de l'engagement au sens large, sous différentes formes. Mattéo peut-il rompre avec les engagements de son père défunt pour gagner l'amour de Juliette, doit-il s'engager par amour de cette femme, contre ses idées, contre l'évidence ?
Mais pourquoi diable Mattéo, avec deux t et surtout un accent, alors que le héros est le fils d'un Espagnol. Pour céder à la mode des petits Mattéo en France, pour vendre davantage ? Dommage. C'est un détail, mais Mateo aurait été plus pertinent.
Cela n'enlève rien à la qualité de ce premier tome, absolument magnifique, avec des dessins qu'il n'est pas exagéré de qualifier de somptueux. Quel talent pour dessiner les visages, des regards, et aussi des paysages, superbes !
Sans parler du sens de la formule de Gibrat ou de son talent de conteur, celui de ne pas avoir besoin de beaucoup de pages pour raconter une histoire, à laquelle on adhère très rapidement.
Bref, une histoire superbement narrée, un rappel brillant de ce que fut cette guerre, des dessins magnifiques, un texte excellent. Rien à redire. Chapeau bas monsieur Gibrat.