Des robots, des démons, la pègre et … un canard rouge
Evidemment, en créant un préquel très très lointain à Donjon avec la série Donjon Antipodes –, il fallait bien que ces deux chenapans de Trondheim et de Sfar racontent ce qui aller se passait sur Terra Amata très très longtemps après la destruction du Donjon. C’est donc parti pour la création d’une nouvelle temporalité avec cette série Donjon Antipodes + ! Qui dit nouvelle époque dit donc nouveaux personnages, nouveaux décors et nouvelle ambiance. C’est donc dans un univers urbain contemporain que les auteurs ont choisi de placer ce premier album intitulé Rubeus Khan, dans une ambiance à mi-chemin entre le cyberpunk et le polar noir. Si découvrir Donjon sur ce nouveau terrain de jeu apporte un vent de fraicheur certain à la série, en contre-partie il faut avouer que ce genre d’ambiance et d’univers font moins rêver que les atmosphères d’héroïc-fantasy ou de capes et d’épées auxquelles on était plus habitué avec les autres sous-séries de Donjon.
Beaucoup de questions peuvent se poser avec cette nouvelle série située si loin dans le futur : cette ambiance de polar noir poisseux et cet univers urbain de type new-yorkais conviennent-ils à Donjon ? Qu’est-ce que l’histoire, si éloignée de sa base de départ, peut amener de nouveau à la série ? La série Donjon Antipodes + sera-t-elle aussi drôle que Donjon Zénith et Donjon Parade ? Ou aussi sombre et épique que Donjon Crépuscule et Donjon Potron-Minet ? Les nouveaux héros de cette série auront-ils autant de charisme que Herbert, Marvin, Hyacinthe de Cavallère ou Marvin Rouge (le Herbert fanfaron du début de Donjon Zénith sera de toute façon difficile à égaler quoiqu’il arrive) ? Tout simplement : l’album est-il encore un Donjon ?
Questions qui me paraissent être légitimes quand on voit qu’en plus les auteurs ont calqué le scénario de ce Rubeus Khan sur celui du blockbuster Pacific Rim, où des robots géants de combat défendent la population contre l’invasion de créatures monstrueuses surgies des profondeurs. Hommage aux films de science-fiction US ou manque d’inspiration ? Quoiqu’il en soit, c’est avec autant de curiosité que de scepticisme qu’on suit les aventures de Robert de Vaucanson, héros de cet album et personnage central de Donjon Antipodes +. J’avoue que pour l’instant cette nouvelle série ne m’emballe pas plus que ça, malgré la présence d’humour typique du duo d’auteurs et les bastons à gogo bien « donjonesques ». Les personnages sont génériques, les péripéties prévisibles et les décors de buildings, de pénitenciers à l’américaine, d’usines et de véhicules motorisés ne me font pas rêver. Qui plus est, on a vraiment du mal à faire le lien avec les autres albums de la saga, même si l’on devine que Robert est le lointain descendant de Marvin Rouge et de Zakutu (et donc d’Herbert) et qu’on sait qu’il faut aborder ce tome comme un album d’introduction à cette nouvelle époque et que les références aux autres albums de la série arriveront plus tard.
Cette ambiance « américanisée » pleine de gratte-ciels, de grosses cylindrées, de policemen en ray-ban et de Cosa Nostra new-yorkaise nécessitait la participation d’un dessinateur ayant un goût prononcé pour les comics. Le choix de confier cette série Donjon Antipodes + à Vince apparaît donc logique, lui qui a déjà participé à l’illustration de comics outre-Atlantique. Son trait très « comics-like » est dynamique et efficace, notamment en ce qui concerne les nombreuses scènes de baston, bien mises en scène. On pourrait lui reprocher toutefois un certain manque de personnalité : le dessin est globalement correct mais manque vraiment d’originalité (mais pourquoi avoir fait de Robert le sosie de Donald ?). Graphiquement Vince fait donc le job, mais sans plus, se contentant de rester sagement dans le rang. On aurait aimé un dessin plus enlevé, plus fougueux, plus personnel, à l’image de ce qu’avaient proposé en leur temps des Blain, des Trondheim ou des Sfar, qui avaient su donner une vraie identité graphique, à la fois originale et esthétique, respectivement aux séries Donjon Potron-Minet, Donjon Zénith et Donjon Crépuscule. Ce ne sera pas le cas à mes yeux avec cette série Donjon Antipodes +, et on se contentera donc de ce dessin façon « comics US » un peu « passe-partout », techniquement sans gros défaut mais qui n’est pas le plus mémorable de la série.