L'amour peut traverser l'espace...
Les auteurs de Saga oscillent avec brio depuis le début de l'aventure entre la violence et l'amour.
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le 28 oct. 2016
4 j'aime
Ce tome fait suite à Saga Tome 5 (épisodes 25 à 30) qu'il faut avoir lu avant. Il contient les épisodes 31 à 36, initialement parus en 2015/2016, écrits par Brian K. Vaughan, dessinés, encrés et mis en couleurs par Fiona Staples.
Hazel a maintenant presque 4 ans et est détenue dans un centre sur la planète Landfall. Ce jour, Noreen, la maîtresse, a demandé aux enfants, la plupart mutilés de guerre, de dessiner quelque chose de triste. Les trois premiers présentent des dessins évoquant des traumatismes générés par la perte de leur famille ou des morts violentes ; celui d'Hazel montre une créature en forme de pied humain, en train de lâcher de violents gaz. Tous les enfants trouvent ça très drôle, la maîtresse moins car elle ne voit pas en quoi c'est triste. Hazel explique qu'elle est triste pour Tooty car il sent vraiment mauvais. Noreen lui demande de rester, alors que les autres enfants s'en vont en courant au son de la cloche. Une fois la tranquillité revenue, elle offre un livre à Hazel : Leave me be. Cela la fait pleurer pour la première fois depuis des années. La fois précédente, c'était quand elle avait égaré son deuxième parent. Elle était à bord d'un vaisseau spatial de modèle Hoof, avec sa grand-mère Klara, et deux membres du groupe terroriste La Révolution. Ils étaient sous la menace d'un énorme vaisseau de la garde royale des Robots. Profitant d'un coup de semonce, Klara s'était emparé de l'arme de Zizz et lui avait fracassé le crâne sous le regard de Hazel. Lexis, l'autre terroriste, s'était rendue à Klara, sans discuter.
Klara avait concocté une explication à l'attention des robots : elles étaient des civiles qui avaient été enlevées pour devenir des esclaves. Elles avaient fini dans le centre de détention et de rééducation de Landfall, où elles avaient échappé à un examen médical approfondi et humiliant grâce à l'intervention d'Izabel, la nounou de Hazel. Lexis restait très inquiète du risque que leurs geôliers découvrent la véritable nature de Hazel, fille d'une habitante de Landfall et d'un habitant de la lune Wreath. Le jour des 4 ans de Hazel, la maîtresse Loreen lui offre un petit gâteau avec une bougie, et lui dit qu'elle pourra participer à sa classe l'année suivante en tant qu'exploratrice. Hazel court pour aller annoncer la bonne nouvelle à sa grand-mère. Elle croise Lexis dans un couloir, entourée par 3 autres détenues visiblement pas commodes : Lexis lui indique la direction où trouver Klara : vers les douches communes. Hazel y pénètre d'une traite, et se retrouve face à Petrichor en train de se laver. Hazel est assez surprise par ce qui se trouve entre les jambes de cette dame. Sa grand-mère survient, enrobée dans une serviette de bain qui laisse apparaître de nombreux tatouages sur le haut de sa poitrine et ses bras. De retour au moment où Noreen lui offre un livre, Hazel lui demande ce qu'elle pense des habitants de Landfall, puis elle retire son teeshirt et lui montre ce qu'il y a sous ses bandages.
Arrivé à ce moment du récit, le lecteur sait qu'il ne vient plus trop pour l'intrigue : Brian K. Vaughan mène son récit comme bon lui semble, vraisemblablement sur le long terme et le lecteur lui fait confiance. Ça lui fait plaisir de retrouver les principaux personnages : Alana, Marko, Hazel. Ça lui fait tout autant plaisir de retrouver certains personnages secondaires : Klara la grand-mère de Hazel, Ghüs le mignon phoque anthropomorphe, Prince Robot IV et son écran fêlé en lieu de visage, Doff & Upsher le sympathique couple de reporters, The Will le chasseur de primes sévère accompagné de son chien Sweet Boy et du spectre de sa défunte sœur The Stalk. Le lecteur ne prête pas forcément attention à l'apparence hétéroclite et très savoureuse de chacun de ces personnages : du phoque anthropomorphe aux individus avec les oreilles en pointe et des couleurs de peau étranges, en passant par un personnel soignant avec une apparence d'ourse avec une belle blouse rose. Fiona Staples dessine tout ça avec un naturel qui rend chaque personnage évident et normal, avec une aisance qui leur permet de coexister sans hiatus. Izabel a toujours une partie de ses intestins qui pendouillent en dehors de son corps sectionné au niveau de la taille et auquel il manque la partie inférieure. Le sourire de Marko est toujours aussi doux le regard de Klara est toujours aussi sévère. Ginny est toujours aussi expressive et enjouée, un vrai plaisir de la retrouver le temps de 4 pages. Le lecteur se prend immédiatement d'affection pour Noreen malgré sa forme arachnoïde. Petrichor est un mystère, et il espère bien qu'elle bénéficiera d'un rôle plus important par la suite. La diversité des personnages est l'opposé d'une ménagerie grâce à la sensibilité graphique de l'artiste.
Le lecteur retrouve également les éléments de comédie de situation et les interactions savoureuses entre les personnages. Les auteurs ne se cachent pas derrière leur petit doigt concernant la sexualité. Ça commence avec Petrichor sous la douche avec un dessin de face qui ne cache rien. Ça continue avec Alana et Marko qui se détendent après un casse à haut risque, avec à nouveau une représentation des corps dénudés de face, dans le moment d'apaisement après l'acte sexuel. Enfin le lecteur assiste également à un moment d'intimité sexuelle entre les amants Doff & Upsher. Il ne s'agit pas de séquences pornographiques : il n'y a pas de représentation de pénétration en gros plan, ou même en plan éloigné, ni même de moments érotiques car la représentation est très pragmatique et met plus l'accent sur l'affection que sur l'acte physique en lui-même. Comme dans les tomes précédents, les auteurs placent plus leur récit dans le registre de la comédie de situation que dans le drame. Cela peut paraître étonnant car il est question d'une enfant séparée de ses parents, de rééducation d'une minorité, de détention, avec deux ou trois séquences violentes occasionnant une blessure grave ou une mort. Dans le même temps, les personnages ne se morfondent pas dans un marasme inextricable, ne se lamentent pas sur leur sort, et continuent d'apprécier la vie. Hazel a conservé la joie de l'enfance. Klara retrouve une raison de vivre même en prison. Doff & Upsher continuent de dialoguer sur un mode goguenard, alors même qu'ils sont à la merci de The Will, et que Doff est blessé à l'épaule gauche. Alors qu'il semble sous l'emprise de sévères hallucinations, The Will conserve une part de lucidité qui le retient de devenir un tueur hors de contrôle. Les auteurs épatent le lecteur avec leur dosage en équilibre : un récit dramatique sans être plombé, une forme de capacité à apprécier la vie sans pour autant neutraliser la tension dramatique.
Le lecteur replonge avec délice dans cette hybridation entre une télénovela et une aventure de science-fiction. Effectivement, il ne se sent pas très investi dans le fait de savoir si Hazel va retrouver ses parents (ou plutôt l'inverse), ou si Prince Robot IV retrouvera son statut royal, ou encore si The Will va surmonter le traumatisme de la mort de The Stalk. Mais dans le même temps, il ressent une forte empathie pour chaque personnage, de Hazel à Noreen, en passant par The Will. Il retrouve cet habile mélange d'éléments prosaïques contemporains comme une salle de classe, un gâteau d'anniversaire, une salle d'archives, une promenade le long de la falaise, et d'éléments relevant de la littérature de l'imaginaire, comme ces personnages à l'apparence hétéroclite, mais aussi le vaisseau spatial de l'armée royale à la forme si caractéristique, la lance-fouet de The Will, un champ de mines spatiales avec une conscience collective (très beau jeu de mots en anglais, Mind Field). Fiona Staples anime un univers visuel où ces différents éléments s'entremêlent de manière harmonieuse, ajoutant à l'ambiance fantaisiste et débridée de la narration. Le lecteur se rend compte qu'elle sait se montrer facétieuse de manière très subtile quand une sorte de monstre sous-marin surgit de dessous la glace, et qu'il se rend compte que ce surgissement évoque fortement une érection masculine.
Il faut peut-être un peu de temps au lecteur pour avoir assez de recul et prendre conscience des thèmes charriés dans cette narration populaire et visuellement exubérantes. Hazel est charmante en petite fille, avec la candeur de cet âge. D'un point de vue ethnique, elle reste une abomination, l'incarnation de l'union de deux peuples que tout oppose. À l'opposé d'une dramatisation facile, Brian K. Vaughan montre plutôt comment son existence pousse les adultes dans leurs retranchements, et les contraint à changer d'attitude. Ils ne peuvent pas réduire Hazel à une idée : lorsqu'ils la côtoient, ils voient une enfant intelligente et adorable. Du coup, ils l'acceptent en tant que personne, reléguant leurs principes au rebut, et agissant dans son intérêt. Avec cette idée en tête, le lecteur se dit que ces individus qui rencontrent Hazel contribuent de manière positive à sa vie, ce qui lui rappelle les commentaires de Hazel sur les relations de ses parents qui s'avéraient préjudiciables. Cela le conduit à regarder les autres personnages et à s'interroger sur ce qui fait qu'ils sont plutôt contents dans la vie, ou pas. Il apparaît alors une autre thématique sur les facteurs qui contribuent à l'épanouissement de certains, ou dont l'absence plombe la vie d'autres.
Il est impossible de ne pas aimer cette série. Les auteurs racontent une histoire mêlent comédie sentimentale et science-fiction avec une rare élégance dans le dosage des ingrédients. Ils font preuve d'une belle inventivité dépourvue d'hypocrisie, et le lecteur éprouve la sensation de se lier d'amitié avec tous les personnages, principaux comme secondaires.
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Créée
le 25 août 2020
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