ça va saigner, mon saigneur!
« Quelques exemples de ce qu’un vampire ne devrait jamais être : un détective pâlichon qui boit du Bloody Mary et ne travaille que la nuit; un giton mélancolique de la Nouvelle Orléans ; une adolescente anorexique ; un éphèbe diaphane aux yeux de biche.
Alors que devrait-il être ?
Un tueur, ma poule. Un tueur à sang froid assoiffé de sang chaud. Un méchant ou une méchante. Un chasseur. En d’autres termes, un américain noctambule. Bleu, Blanc, Rouge, et surtout Rouge. »
Stephen King
Ça annonce du lourd. Ça annonce quelque chose d’énorme !
En fait non, pas tant que ça… Je vous présente un bon comics qui offre une version des vampires qui, sans être révolutionnaire au milieu d’une mode vampirique, tient parfaitement la route, et ce, même au niveau graphique.
Côté scénario déjà, c’est plutôt bien ficelé, et c’est pas un hasard. Monsieur Stephen King lui-même est à la plume sur une idée originale de Scott Snyder (The Swamp Thing, Batman), pour nous conter la naissance du vampire Skinner Sweet. Ou plutôt la mort du bandit de l’ouest américain Skinner Sweet. Au choix. J’en entends déjà qui font cliqueter leur clavier :
« Tu t’es fait avoir, Stephen King est là juste pour faire vendre, ça veut pas dire que ce sera bon !! »
Parfaitement, oui, je me suis fait avoir ! Mais c’est justement la preuve que côté marketing ils ne sont pas complètement stupides, et ça mérite qu’on y jette un coup d’œil. Et puis avec Stephen King, les probabilités d’être déçu sont inférieures à celles d’être satisfait.
On peut voir un phénomène inhabituel et pourtant pas bête du tout. Le titre propose régulièrement des histoires courtes ne s’inscrivant pas dans la ligne Skinner/Pearl. Ces Short Stories sont à chaque fois dessinées par quelqu’un de différent. Cela offre à ces récits une identité à part, mettant en avant le travail de chaque dessinateurs, et évitant la confusion avec le récit principal.
Malgré une séparation graphique entre les récits, le récit principal reste lui-même assez embrouillé. Pourquoi ? Parce que dans une même époque, il y a souvent deux ou trois time-line qui viennent s’entremêler. Elles sont liées entre elles par des phrases commençant à la fin d’une page, dans une bulle classique, et qui se finit dans la page suivante, dans un phylactère afin d’en faire une liaison narrative.
Les time-line s’enchaînent bien trop vite, et sont bien trop courtes. On se retrouve avec trois pages de flash back, suivies de trois pages d’action sur une autre période, puis tout revient au flash back. Non pas que cela ne soit pas créatif, au contraire, On voit bien l’approche adoptée par les auteurs qui mettent en place une explication de l’action en cours par des flash back pour amener une compréhension globale logique. Le problème, c’est que la systématisation de ce principe fait parfois perdre le fil au lecteur. C’est encore pire avec les fameux « hors série » en début ou en fin d’album.
Le premier volume est consacré tout entier à notre ami Skinner et à sa petite protégée, Pearl Jones. Evitons de renter dans les détails pour ne pas gâcher le plaisir de tout le monde, mais en gros, ils se font infecter par des vampires européens. Pas juste par une petite morsure, comme c’est la tradition. Les auteurs ajoutent une condition à la transformation ; il faut que du sang de vampire entre dans l’organisme du sujet.Une fois fait, ledit sujet se découvre des capacités vampiriques. Et c’est là que ça devient intéressant. Les vampires sont présentés par Snyder comme résultant d’une évolution génétique. Selon l’ethnie, l’origine et plusieurs facteurs de ce genre, le sujet adopte certaines capacités, certaines particularités physiques. Skinner étant le premier américain à être infecté, il devient donc le premier Homo Abominum Americana, comprenez Vampire Américain, résistant au soleil. Chaque race a donc ses points forts et ses points faibles.
Plus en profondeur, par cette transformation génétique, tous les mauvais côtés de l’Homme avec un grand H se trouvent intensifiés. Plus violent, plus carnassier. On peut même y voir une approche des péchés capitaux, Skinner représente la gourmandise, Pearl Jones, la luxure et les vampires en général sont plus qu’orgueilleux…
Finalement, on a une approche des vampires très terre à terre, ils sont une extrapolation de tout ce qu’il y a d’excessif chez l’homme. Comme des américains, quoi. Bref, le titre « Vampire Américain » est justifié.
Le principe est peut-être un peu trop gratté par le scénariste, car on aperçoit plus loin des vampires qui prennent les caractéristiques d’autres créatures mortes vivantes ; des zombies et des loups-garous notamment. Un peu tiré par les cheveux donc, car ça fait du terme « vampire » un synonyme de « mort-vivant ». Pas cool pour tous les zombies, Lycaons et autres apparitions spectrales qui perdent leurs personnalités.
Chaque album est une période temporelle différente. Cela offre à chaque volume relié un style cinématographique
particulier dans lesquels nos amis à canines pointues se baladent librement. Le Western, avec Sang Neuf, le film noir dans Le Diable du désert, film de guerre avec Le Fléau du Pacifique et un film d’action des années 1950 dans Course contre la mort.
Par ce processus, on voit clairement que les auteurs cherchent à sortir les vampires de leur image fantastico-romantique, d’en faire des personnes à part entière, bien qu’un peu extrêmes, les rapprocher des être humains lambda.
En plus de tout ça, Snyder et Albuquerque nous font revisiter les périodes historiques des Etats-Unis, et ça c’est plutôt classe.
En bref, American Vampire c’est un bon comic book, avec de bonnes idées et une certaine maitrise des principes de la narration dans la bande dessinée. On remarque quand même qu’on peut facilement se perdre dans le fouillis des time line qui se croisent mais ne se ressemblent pas toutes. Et surtout, surtout, on craint une évolution beaucoup moins badass que ce que nous donne à croire la préface de Stephen King. Une bonne lecture quand même.