Passionnée de manga, Rosalie Stroesser est une jeune dessinatrice française plus généralement attirée par le Japon et toutes les facettes de sa culture. Pour assouvir sa soif de curiosité, elle part y vivre un an. Le présent album fait le point après son retour en France (octobre 2016).
Comme le titre l’indique, Rosalie cherche à comprendre le Japon en profondeur et pour cela y passer le temps nécessaire pour ne pas se contenter de ce que découvrent habituellement les touristes. Elle a préparé son affaire de longue date et connaît son point de chute. C’est ainsi qu’elle prend ses quartiers dans une sorte d’auberge tenue par Yōji-san qui l’accueille dans sa propriété, une splendide maison dans un cadre remarquable, quelque part dans la campagne. L’ensemble est tellement séduisant que la première réaction de Rosalie est « Je peux habiter ici toute ma vie ? » ce à quoi Yōji-san répond « Hé hé, crois-moi, je n’aurais rien contre. » Rosalie fera partie d’une équipe de cinq jeunes femmes chargées du service auprès de la clientèle et elle partage un bungalow avec Miya, jeune israélienne avec qui elle va bien s’entendre. Particularité, Rosalie arrive en quelque sorte à la saison creuse. Le service consiste essentiellement à faire la cuisine pour la maisonnée. Cela explique sans doute qu’on ne les voit guère travailler, même s’il est régulièrement question de cuisine. D’ailleurs, on ne voit pas trop non plus Rosalie dessiner.
Par contre, dès le début, la façon dont Yōji-san est représenté intrigue : avec le visage uniquement constitué d’un pourtour de traits hachurés, un peu à la manière d’une photo floutée. La suite des événements va nous faire comprendre la raison de ce choix inattendu.
Tokyo et Kyoto
La partie évoquée ci-dessus s’achève de manière assez amère. Mais, Rosalie s’avère incapable de s’éterniser dans un état d’esprit négatif. Amoureuse du Japon, elle reste une curieuse insatiable. Elle poursuit son exploration en s’installant à Tokyo et elle trouve à travailler dans un bar où elle enrichit son vocabulaire avec notamment des noms de cocktails. Elle fait également de nouvelles connaissances parmi ses collègues et emménage dans un appartement en collocation avec Nao, une jeune étudiante avec qui s’installe une complicité qui lui fait du bien. Mais elle ira également vers des surprises ainsi que quelques déconvenues. Quand elle éprouve à nouveau le besoin de changer d’air, au printemps, Rosalie se décide à retourner à Kyoto. On sent qu’elle n’avait pas prévu de passer son temps à aller ici et là, car elle avoue ne pas avoir les moyens de prendre le Shinkansen, le train grande vitesse qui est le moyen le plus rapide pour aller de Tokyo à Kyoto. Or, d’après mes informations, lorsqu’on veut passer du temps au Japon, on a tout intérêt à prendre une sorte d’abonnement (cher) qui permet d’emprunter les transports en commun dans tout le pays. Ceci dit, je ne sais pas si cette sorte de pass comporte des restrictions. Ce qui est intéressant à noter, c’est que Rosalie annonce qu’elle ne fait que retourner à Kyoto, malgré une première impression d’attrape-touristes. On comprend qu’il ne faut surtout pas s’arrêter au fait que Kyoto est une anagramme de Tokyo.
Le Japon, fascinant et complexe
En prenant le temps de visiter ce qui l’intéresse du Japon où elle s’installe pour travailler, Rosalie nous immerge dans ce pays fascinant et elle ne glisse des détails classiques qu’à l’occasion. Ce qu’elle nous montre du pays mérite largement le coup d’œil, grâce à son dessin élégant qui met bien en valeur les paysages, bien qu’elle fasse le choix du noir et blanc (de qualité). Ceci dit, les couleurs apparaissent dans toute leur splendeur sur quelques planches où elle évoque certaines histoires traditionnelles japonaises qu’elle présente sous la forme de textes de son cru avec de magnifiques dessins pleine pages pour les illustrer. Concrètement, même si le constat final est doux-amer pour Rosalie, après ses quatre saisons au Japon, elle parvient néanmoins à la conclusion que le pays reste toujours aussi fascinant et qu’il lui manquera au point qu’elle envisage d’ores et déjà d’y retourner. Et, il faut bien dire qu’à la lecture de ce bel album, le voyage est tentant. Au vu de son épaisseur (318 pages, couverture souple) j’envisageais de lire cet album sous forme de dégustation. Mais la première partie (plutôt le premier tiers que le quart) m’a suffisamment surpris pour que je l’absorbe assez rapidement.
Shiki
Parmi les détails agréables, Rosalie fait régulièrement des notes de bas de case ou de page pour indiquer la signification d’un mot de vocabulaire. C’est bien souvent pour expliquer la composition des plats traditionnels qu’elle découvre et déguste. A noter quand même qu’elle utilise aussi quelques mots anglais (qu’elle a visiblement pratiqué régulièrement avec celles et ceux qu’elle a côtoyés). Cela donne une impression particulière, puisque cet album en français comporte quelques mots anglais qu’elle ne prend pas la peine de traduire parce qu’ils semblent naturels pour elle (mais pas forcément pour nous). Inconvénient mineur. Remarque au passage, elle donne pas mal de significations de mots japonais, mais pas celle de son titre. Inutile de trop chercher, car l’explication est dans le sous-titre, puisque « Shiki » signifie quatre saisons.
Un constat doux-amer
Autre détail frappant, l’album commence par une mésaventure lors de l’arrivée de Rosalie au Japon en novembre 2015, douze jours après son atterrissage. Elle s’est retrouvée perdue avec sa valise, à Himeji (??) où elle ne connaissait personne. Mais on ne saura jamais comment et pourquoi elle s’y est retrouvée, ni comment cette mésaventure s’est terminée. Tout ce qu’on saura, c’est que cela ne l’a jamais inquiétée, ce qui rejoint la conclusion de l’album. En effet, parmi ce qu’elle a apprécié, c’est de ne jamais se sentir sur ses gardes comme elle peut l’être à certains endroits en France. Raison pour laquelle, elle a passé une nuit seule allongée dans l’herbe et qu’elle est partie en stop pour camper en solitaire sans qu’il lui soit arrivé quoi que ce soit de spécial. Le côté amusant de la chose, c’est que ceux à qui elle en a parlé lui ont dit qu’elle avait eu de la chance. De plus, visiblement, la police patrouille pour éviter ce genre de situation. Ce choix de Rosalie a également son côté paradoxal, puisqu’elle reproche finalement au japonais leur attitude assez rétrograde vis-à-vis des femmes. En effet, ses mésaventures tournent autour de cet aspect de la « mentalité japonaise » même si l’expression me semble réductrice.
Critique parue initialement sur LeMagduCiné