Loin des standards habituels, Soil propose un récit torturé et profond. D'emblée le lecteur est propulsé dans une narration faisant directement penser à cette fameuse vitrine superficielle d'une communauté à l'apparence parfaite à l'instar de séries comme Desperate Housewives. L'autre influence claire comme l'eau de roche : les rapports étranges d'une société vivant en autarcie comme on pouvait le voir dans l'étonnante série Twin Peaks de David Lynch. Un peu comme l'univers précité, la ville de Soil Newton, jusqu'alors calme et sereine, devient la scène d'une disparition subite. Cette fracture dans un rouage presque parfait va, pour ainsi dire, tout chambouler, tel un jeu de cartes trop fragile. Une famille entière reste introuvable, laissant sa maison, exagérément fleurie, dans un état approchant d'une mise en pause faite dans l'urgence. Les deux personnages qui semblent principaux aux premiers abords sont fort atypiques. Ces deux détectives, une fillette timide et maladroite et un vieux type bedonnant, blasé et graveleux à souhait, arrivent en catastrophe dans la ville de Soil Newton pour investiguer sur l'affaire. D'autres personnages vont et viennent complexifiant un peu l'histoire. On pourra faire un autre parallèle avec le merveilleux 20th Century Boys de Naoki Urasawa, bien que l'intrigue s'installe malgré tout plus lentement. On appréciera forcément ces personnages qui sont tout sauf noir ou blanc. Une vraie profondeur qui se crée au fur et à mesure. Les habitants de Soil Newton, perturbés par la rupture sauvage de cette tranquillité "vitrine", semblent dégouliner de culpabilité. La sauvegarde de l'apparence que l'on retrouve dans le manga d'Atsushi Kaneko est un peu ce que l'on peut voir dans la société japonaise. Soil se révèle être, sous cet angle, une sorte d'autocritique fine et lucide. L'auteur nous tire d'un côté à l'autre sans pour autant nous montrer du doigt trop rapidement l'issue d'un récit haletant.
Sur le plan visuel, on est encore loin du design manga habituel et ce n'est pas pour me déplaire. Les trames sont utilisées avec une parcimonie maladive. Ainsi seuls quelques vêtements, éléments voire un ombrage complet d'une zone de nuit y auront recours uniquement. Le trait est à la fois sûr, net mais un peu brouillon de par l'absence de nuance monochrome. Si l'on devait comparer cela à de la bande dessinée occidentale, l'on pourrait évoquer cette fameuse ligne claire et ses aplats de couleurs net et sans bavures.
Il s'agit, à coup sûr, d'une alternative en béton pour ceux qui vomissent à la vue d'un énième clone de shônen ou qui lèvent les yeux au ciel dès que l'on voit arriver une série avec des clichés gros comme une maison (et non fleurie, celle-là !). Il faut certainement s'accrocher sur le visuel, pas toujours très lisible, mais l'intrigue lui en fait toute sa saveur pour un manga « underground » qui se veut résolument différent !
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