Le Romantisme de l'Espace

En fiction, les œuvres de SF traitant de l'espace s'offrent mille et une approches possibles pour raconter ce qu'elles souhaitent. Des fresques épiques de space-opéra, aux récits dénonciateurs, en passant par des projets plus contemplatifs, ce genre vaste semble pourtant avoir déjà tout connu, et avec beaucoup de réussite. Dans cette galaxie d'histoires, il paraît bien compliqué d'y briller plus que les autres, de se détacher de la masse. C'est pourtant bien ce qu'a réussi Space Brothers, petite étoile méconnue, illuminant d'une chaleur qui lui est propre, tous les yeux qui lui accorderont un instant.

Chuya Koyama, l'auteur de Space Brothers, a décidé d'ancrer son histoire dans un style Hard-SF, et d'imaginer les progressions les plus crédibles possibles dans la conquête spatiale. Ce choix est un risque certain, car la moindre fantaisie un peu trop prononcée, briserait immédiatement la suspension consentie de l'incrédulité du lecteur. Mais l'auteur maîtrise son sujet et s'est renseigné auprès de spécialistes pour y construire une histoire crédible, tant et si bien qu'à aucun moment, le scénario ne sonne creux ou ne donne l'impression de tricher. Bien au contraire, les intrigues sont bien ficelées, crédibles et surtout très instructives sur le milieu spatial et les problématiques que l'on y rencontre. Toutefois, ce réalisme ne se fait pas à tout prix. La priorité du mangaka reste de raconter la meilleure histoire possible, nous épargnant ainsi, toutes les complications administratives et simplifiant nombres de concepts pour ne garder que l'essentiel. Les enjeux et péripéties s'enchaînent avec rythme et la tension grimpe d'arc en arc. Le mangaka jongle habilement entre réalisme et fluidité donnant un rendu passionnant à découvrir.

Pour ce qui est de l'aspect visuel, le trait de Chuya Koyama est assez loin d'une maîtrise technique parfaite comme Kentaro Miura, mais cela n'a aucune importance. Ce style bien à lui, est très efficace, que cela soit pour donner forme à toutes les technologies spatiales, mais également lorsqu'il s'agit de retranscrire les émotions des personnages, notamment les plus subtiles (la honte, la fierté, la confiance, etc). Régulièrement, Chuya Koyama dessine moins les événements factuels, et plus comment les personnages les perçoivent, les ressentent. Le découpage arrive à magnifier ces pages, mais ce sont surtout les idées de mise en scène qui sont géniales. Une opération chirurgicale poétique, un bain spatial, une connexion fraternelle à des centaines de kilomètres ou une myriade de larmes en apesanteur, ce manga sait marquer le lecteur via son imagerie. Et c'est sans parler des scènes mythiques des programmes spatiaux (décollage, sortie extra-véhiculaire, vue de la terre depuis l'espace, etc) que Chuya Koyama iconise à coups de planches grandioses.

Pourtant, le mangaka n'était pas féru d'espace avant d'écrire son manga, mais il se dégage une telle passion de ses planches, que j'en suis redevenu le temps de ma lecture, le petit garçon qui rêvait de voler dans un océan d'étoile.

Car oui cette série fait rêver. Plus que cela, elle incite aux rêves et encourage chacun à les poursuivre ! Il n'est jamais trop tard pour se lancer, jamais trop tard pour essayer, quel que soit ce rêve ! Et quelle meilleure inspiration à poursuivre ses rêves qu'un salary-man de 25 ans, coincé dans un métier qui ne lui plaît pas, qui décide de vivre sa vie pleinement en tentant de devenir astronaute.

Aucun exemple ne serait mieux illustrer le soin apporté à l'écriture des personnages que Mutta Nanba, le héros de cette histoire. Bien loin des héros clichés de manga, Mutta est un jeune homme ayant renié ses rêves par honte, contraint à une vie qui ne lui plaît pas, alors que sa vocation est évidente. Remplie de défaut, intelligent, soucieux du regard des autres, tous ses traits de caractères sont très rapidement introduits au lecteur, le rendant tangible. Il est l'un des personnages de fiction avec l'une des évolutions les plus satisfaisantes que j'ai pu lire. On le voit mûrir au fil des pages. Guidé par son frère lorsque plus rien n'allait, il se lance dans l'inconnu et parvient à s'illustrer partout où il passe grâce à sa malice, à inspirer ses camarades par sa volonté, jusqu'à aider en retour son frère lorsque ce dernier en a le plus besoin.

Tous les personnages seront traités avec le même soin, l'auteur s'appliquant à introduire efficacement les principaux traits de caractères pour par la suite, creuser sous la surface.

En plus de cette double épaisseur systématique, le mangaka a prêté une attention particulière aux différences de caractères, de culture ou d'opinion, tous ces éléments qui influencent la vie d'un groupe. On assiste à un mélange de personnes que tout oppose, qui avancent en dépit de leurs différences vers un objectif commun, un même idéal.

Et l'on arrive là, à ce qui démarque Space Brothers de nombre de séries.

Les histoires les plus marquantes se distinguent souvent par des thèmes sérieux, des twists dramatiques, une ambiance sombre, cynique, ne pas rester dans la douceur du Happy End enfantin. Ce constat est particulièrement vrai dans la SF, qui est souvent le fier porte-étendard de sujets sérieux. Pensez Straship Troopers, Dune, Interstellar, la Planetes des Singes etc...

Space Brothers parvient lui à être impactant en débordant d'optimisme et de douceur. Parsemée d'un humour bien senti, la série combine une légèreté donnant le sourire, un aspect éducatif et des messages plus que positif.

Le manga aborde des thèmes universels comme la famille, l'échec, le deuil, la maladie, mais en questionnant sur comment l'on peut s'en sortir, comment cela nous grandit. Et l'une des réponses les plus fréquemment proposée par l'auteur n'est autre que : la Fraternité.

Bien au de-là de la simple relation entre frères, le "Brothers" du titre se réfère davantage à la fraternité dans son sens le plus large. S'unir, se soutenir, et avancer vers un même objectif, qu'importent les opinions et les origines. Loin d'être idéaliste, le manga ne minimise pas la difficulté de la tâche, mais célèbre simplement tout ce que l'être humain peut accomplir lorsque rien ne l'entre-déchire. Ensemble, nos petits pas deviennent des bonds de géants.

Bien que la série se catégorise dans un style de Hard-SF, avec donc une représentation scientifique se voulant la plus réaliste possible, l'espace y est traité d'une façon bien plus romantique. Chaque personnage du manga possède une motivation bien personnelle le guidant au-delà de l'attraction terrestre. Honorer la mémoire d'un camarade disparu, réaliser le rêve de sa mère, pouvoir répondre aux questions de son enfant, etc. L'espace est pour ses personnages bien plus qu'un vide étoilé au parfum rouillé. L'espace représente ce qui les relit à leurs proches, et devient leur façon d'exprimer leurs doutes et leurs craintes, leurs joies ou leurs espoirs. Ils ne sont pas là que par passion, mais bien parce que rien ne saurait être plus important pour eux. Cette mise en avant des sentiments, couplée à l'optimisme de la série, créé un contraste assez intéressant avec les attentes habituelles du genre et participe a donné à Space Brothers une identité forte.

Devant cette lecture vraiment agréable, un seul défaut m'apparaissait : aucun arc exceptionnel ne se démarquait. Attention, chaque arc était très plaisant à lire, intelligent et drôle, le manga se permettant même quelques fulgurances épiques. Cependant, il manquait LE grand arc de la série, celui qui fait passer une bonne histoire dans la catégorie des histoires inoubliables. Pensez l'arc Chimera-Ant, Namek ou celui de Shibuya pour prendre un exemple plus récent, ces arcs marquants où l'attente entre chaque chapitre est insoutenable. Il manquait à mes yeux un arc de cet acabit.

Mais mais mais mais... le tome 42 est arrivé, et dans son sillage, l'arc que j'attendais tant. Ce dernier est toujours en cours de parution. On a atteint le clair climax de l'histoire, certainement la partie finale de la série et devoir patienter chaque semaine est devenu une torture. Je ne peux que vous encourager à lire ce manga, il n'y a pas meilleur moment pour embarquer.