Peu familier des comics-book Marvel, exception faite du conceptuel Wolverine - Snikt!, La Dernière Chasse de Kraven vaut bien ses louanges : figurant parmi les récits les plus appréciés dédiés à Spider-Man, l’intrigue tissée par J.M. DeMatteis tranche avec l’imagerie insouciante des aventures Peter Parker, tout du moins du point de vue du profane que je suis.
En l’état, l’un de ses tours de force résiderait ainsi dans l’usage de l’indécrottable Kraven, antagoniste notoirement kitsch à travers le dessin animé de 1994 : placé ici au cœur des festivités, dont il est d’ailleurs l’instigateur, le célèbre chasseur impulse une dynamique identitaire des plus travaillées au tout, sa dernière chasse conviant le lecteur à suivre les destins croisés de trois figures hautement tiraillées. S’il demeure le moins passif du lot, le natif de Stalingrad n’en est ainsi pas le moins torturé, l’auteur en dressant un portait vieillissant : en découle alors une personnalité orgueilleuse, mais dont la mélancolie prégnante confère à ses actions des airs de testament en grande pompe.
À juste titre donc, Kraven s’échinant à prouver sa suprématie en usurpant l’identité de l’Homme-Araignée après l’avoir envoyé six pieds sous terre : aux portes d’une victoire aussi bien factuelle que symbolique, il ne s’agit néanmoins pas d’un long fleuve tranquille. Si sa volonté s’affermi bien souvent, les doutes n’auront de cesse de l’assaillir, l’homme interrogeant les fondements mêmes de sa quête finale... jusqu’à l’émergence d’une paix intérieure palpable, au point de quitter la scène d’une manière abrupte mais réfléchie.
Là serait d’ailleurs l’un des rares reproches à adresser à La Dernière Chasse de Kraven, sa narration et ce fameux dénouement soulignant une construction « arrangeante », tout rentrant finalement dans l’ordre : un peu comme si tout avait été réglé comme du papier à musique, le plan échafaudé par Kraven allant jusqu’à innocenter Spider-Man de ses actes répréhensibles... même si la chose est plutôt sensée in fine.
Heureusement et comme évoqué, si le bon vouloir de Kraven rythme le tout, le prisme identitaire se compose bien de trois facettes complémentaires : Peter Parker se départage ainsi rapidement de ses allures de jeune adulte blagueur, de par sa relation avec Mary Jane notamment, qui va nourrir un dilemme intérieur des plus justes. Il est ainsi propice de relever que chaque protagoniste abonde dans le sens d’une double-identité délicate, Vermine étant lui-même aux prises avec sa monstrueuse condition et le lointain souvenir humain. Avec Kraven, tous deux adoptent également une posture spécifique à l’égard de leur adversaire, l’araignée renvoyant à une relation de prédation où les rôles de chasseur et chassé s’alternent régulièrement.
Le travail d’écriture concernant ce trio aussi bien éclectique que familier est ainsi de haute facture, J.M. DeMatteis signant là un récit sombre à échelle humaine où ses personnages priment clairement sur l’action. S’il n’est pas mémorable, le dessin de Mike Zeck laisse malgré tout une bonne impression tant il colle bien aux prétentions de l’intrigue, tandis que Bob McLeod parachève ce tableau aux milles nuances de noir. En dépit d’un happy-end quelque peu commode, La Dernière Chasse de Kraven constitue donc une lecture des plus enrichissantes, fort d’une triple opposition traitée avec justesse et originalité. Kraven peut partir l’esprit tranquille.