Ce tome contient deux histoires complètes : les 2 premières apparitions du personnage The Mask.
Minisérie 1 (1991), par John Arcudi, dessinés, encrés et mis en couleurs par Doug Mahnke. - Stanley Ipkiss passe chez l'antiquaire et achète un vieux masque en jade qu'il paye $135, taxes incluses. En sortant de la boutique avec son achat, il voit un gang de bikers passer, projetant de la boue sur sa voiture qu'il vient de laver. Il gesticule et agite le poing dans leur direction. Alors qu'il s'apprête à monter dans sa voiture, il est tiré en arrière par l'un des motards et se prend un coup de poing dans le ventre, une baffe en pleine figure, et un coup de pied dans le derrière pour faire bonne mesure. Il rentre chez lui en pensant aux sévices qu'il aimerait bien leur faire subir : coup de pied dans les bijoux de famille, arrachage de nez avec un clef à molette, éclatage de crâne avec une batte de baseball, carbonisation au lance-flamme. Alors qu'il ouvre la porte de l'appartement de sa copine Kathy, il a l'impression que le masque lui parle depuis l'intérieur de sa boîte. Il offre le masque à Kathy qui en est très contente et ils terminent au lit. La nuit il se lève pour aller aux toilettes et trouve le masque sur le rabat de la cuvette des WC. Il l'essaye et se retrouve transformé avec une grosse tête verte, et habillé d'un costume orange voyant. Il sort par la fenêtre de la salle de bain.
Une fois dans la rue, Stanley Ipkiss transformé croise 2 loubards. Il envoie un coup de poing tout mou à l'un d'eux, et recule sur la chaussée où il se fait écraser par une voiture. Il se relève indemne ou presque, la tête en sang qui guérit instantanément. Il rentre dans le garage où les bikers sont en train de s'occuper de leurs bécanes et les éclate comme il l'avait imaginé. Il survit sans problème à un coup de feu qui lui laisse un énorme trou au milieu de la poitrine. Après les avoir tous massacrés, il rentre chez Kathy. En se levant, elle a l'impression de voir un gugusse avec une tête verte dans sa salle de bain, mais il s'agit en fait de Stanley Ipkiss qui se comporte de manière beaucoup plus sûr de lui que d'habitude. Il gagne en confiance de jour en jour au point de lui répondre, et même de lever la main sur elle. Il revêt régulièrement le masque pour aller rendre visite à tout un tas de personne dont il a marqué les noms sur une liste, à commencer par le garagiste qui a mal réparé sa voiture malgré une note salée, puis son institutrice de primaire qui l'avait humilié. La police est totalement désorientée par les cadavres laissés dans un état atroce, et l'enquête est confiée au lieutenant de police Kellaway.
Le personnage de The Mask est devenu célèbre grâce au film de 1994 The Mask réalisé par Chuck Russell, le rôle-titre étant interprété par Jim Carrey. Son origine remonte à 1982 où Mike Richardson (l'éditeur en chef de Dark Horse Comics) a l'idée d'un personnage appelé Masque. Il connaît 2 incarnations transitoires, l'une réalisée par Mark Badger, la suivante par Chris Warner, avant d'être relancé par la présente minisérie, avec le nom de The Mask. La première histoire est prépubliée dans l'anthologie Mayhem en 1989, republiée ensuite en tant que numéro zéro de la minisérie. Replacé dans son contexte en 1991, ce récit prend le lecteur au dépourvu. La couverture semble annoncer un superhéros ou un supercriminel avec exagération comique, et l'intérieur raconte comment un individu quelconque et effacé se venge des mesquineries qu'il a pu subir dans sa vie, avec perte et fracas et une forme de sadisme premier degré, allégé par quelques exagérations comiques visuelles. Il n'y a pas d'équivalent à l’époque dans le monde des comics de superhéros DC ou Marvel, ou même dans les comics indépendants. Le lecteur regarde les facéties macabres de The Mask avec des yeux ronds, incapables de savoir si c'est du lard ou du cochon.
Avec l'épisode 1, le masque passe au lieutenant Kellaway et la nature du récit apparaît. Ce masque a des propriétés surnaturelles qui confèrent une invincibilité totale à son porteur, la possibilité de faire sortir n'importe quel objet du néant (de préférence des armes, mais pas seulement), et une propension à la violence exacerbée. Ayant compris la nature du récit, le lecteur attend avec impatience chaque apparition de The Mask, le carnage sadique, l'humour servi très noir et l'inventivité visuelle de ses interventions. Impossible de ne pas ressentir la jouissance du timoré Ipkiss au fur et à mesure qu'il se venge de ses persécuteurs. Pendant 3 pages, il massacre les bikers. À nouveau, le lecteur peut se retrouver décontenancé par le contraste entre les morts atroces avec une violence réaliste, le fait d'un individu dépourvu de toute empathie et faisant preuve d'un sadisme barbare, avec l'exubérance comique de The Mask. Il est impossible de cautionner le fait que The Mask écrase la gorge de son ancienne maîtresse de primaire. Il y a une vraie violence sadique, sans aucune inhibition morale, avec une méchanceté sans fard s'exprimant par une brutalité sans limite, une forme de vengeance immédiate rendue encore plus écœurante par l'humour générée par les moyens disproportionnés mis en œuvre.
Le même schéma se reproduit une fois que le masque est entre les mains du lieutenant Kellaway. Celui-ci n'est pas une victime désignée comme l'était Stanley Ipkiss. C'est un représentant de la loi, une personne bénéfique à la société. Pour autant la levée des inhibitions et les moyens destructeurs illimités produisent le même effet que sur Ipkiss : le massacre continue de plus belle. Dans ces 2 histoires, John Arcudi déroule une intrigue solide et linéaire : d'abord la série de vengeance de Stanley Ipkiss, puis les interventions de The Mask pour pallier les faiblesses du système judiciaire, entremêlées avec le risque que quelqu'un finisse par découvrir qui est le porteur du masque. Le scénariste développe suffisamment les principaux protagonistes pour qu'ils existent aux yeux du lecteur que ce soit le timoré Ipkiss, ou le blasé Kellaway. Il réussit des personnages secondaires inoubliables même si moins développés : Kathy et ses capacités de déduction, Lionel le collègue attentionné de Kellaway, Steven Listor l'avocat ripou, et l'incroyable Walter. Il trouve le point d'équilibre instable entre intrigue, violence sadique, comédie noire et drame.
À l'époque, Doug Mahnke est un dessinateur débutant. Le lecteur souffre un peu lors des 2 premiers épisodes, avec une mise en couleurs ayant vieilli avec le temps, quelques erreurs de proportions, et quelques incohérences graphiques, ne sachant plus très bien si l'appartement de Kathy est un pavillon ou s'il est situé dans un immeuble. Mais dès le départ, les personnages disposent d'une morphologie normale, avec des visages souvent très expressifs, et un langage corporel halluciné pour The Mask. Les civils sont également très expressifs. Le lecteur sourit en voyant Kathy essayer de contacter le lieutenant Kellaway, ayant très bien compris qu'il utilise le masque. Il sourit également en voyant l'immonde mauvaise foi de Stephen Listor associée à un aplomb suffisant, les coups de colère du commissaire s'en prenant à Kellaway, l'inquiétude démesurée de Kathy quand Kellaway fait le geste de porter le masque à son visage, etc. Les dessins de Mahnke insufflent une vie extraordinaire aux personnages.
Dès la première apparition de The Mask, le lecteur se rend compte qu'il sourit devant les facéties du personnage, le caractère outré de son comportement, son bagout et ses réactions infantiles. Arrivé à l'épisode 3, la qualité des dessins fait un bond en avant significatif : les décors sont propres, nets et consistants, les expressions de visage des personnages sont irrésistibles, la mise en couleurs aide à la lecture, et les apparitions de The Mask sont toujours aussi énormes. Il est impossible de résister à ses grimaces avec ses yeux qui partent dans tous les sens, à son cabotinage comme s'il avait conscience d'être un acteur dans un film, à l'absurdité de ses armes et de ses gadgets. Il faut le voir sortir de l'eau d'un fleuve dans une combinaison de plongée jaune fluo, apparaître dans un costume de torero, défoncer un coffre-fort mural avec un marteau piqueur, préparer un gâteau avec des gestes spasmodiques de maniaque dans un costume de chef cuisinier d'opérette, sans oublier des moustaches impossibles. Doug Mahnke fait preuve d'une verve comique extraordinaire, qu'il marie tout naturellement à une violence gore convaincante.
Qu'il ait découvert le personnage sous les traits de Jim Carrey ou en comics, le lecteur reste soufflé par la force du personnage dans cette première apparition. John Arcudi et Doug Mahnke sont parfaitement en phase pour une histoire d'une violence inouïe au point d'en être toujours dérangeante, assaisonnée d'un humour débridé rendu encore plus horrible par l'inventivité des sévices infligés et l'absence totale de toute moralité. Plusieurs décennies plus tard, cette première histoire de The Mask n'a rien perdu de son impact et de sa subversivité.
The Mask returns : 1992/1993, écrits par John Arcudi, dessinés et encrés par Doug Mahnke, mis en couleurs par Chris Chalenor.
Suite à son intervention courageuse et héroïque dans une prise d'otages, le lieutenant de police Kellaway a été mis à pied et le parrain Don Cesare Mozzo souhaite se venger du fait qu'il ait éliminé plusieurs de ses hommes. Ce soir-là, 3 hommes de main de Don Mozzo s'introduisent dans le pavillon de Kellaway pour l'éliminer. L'un d'eux trouve que la méthode qu'ils ont choisie n'est pas la plus efficace et en plus il ne souvient plus d'où se trouve la chambre. Ils avancent plus ou moins discrètement dans le couloir à l'étage et ouvrent la porte de la chambre. Kellaway les attend derrière la porte, l'arme au poing. Il n'arrive pas à les abattre et s'enfuit vers la porte d'entrée, sans oser sortir parce qu'une voiture attend devant. Il part se réfugier au sous-sol et se munit d'une pioche pour déterrer le masque. Il n'est pas assez rapide et un tueur lui tire dessus, puis récupère le masque comme souvenir. Par moquerie, l'un des tueurs met le masque sur le visage de Nunzio, leur conducteur bègue.
La personnalité de The Mask prend le dessus sur celle de Nunzio qui met le pied au plancher avec une accélération qui colle tout le monde contre la banquette arrière. Du coup il y en a un qui lui intime de ralentir en le menaçant d'un flingue. Mask pile d'un coup sec et tout le monde traverse le pare-brise avec perte et fracas. Ailleurs Walter est attablé à la cantine de la prison. Son voisin lui adresse la parole sur un ton peu amène ; Walter l'envoie valdinguer d'un simple coup de poing bien placé. Le prisonnier contre lequel l'autre vient s'écraser se lève pour riposter. Un simple regard de Walter suffit à le faire se rasseoir, et il s'excuse en plus. L'un des tueurs a survécu à l'accident et arrive dans le restaurant qui sert de quartier général à Don Mozzo. Il demande à lui parler, mais son second lui indique qu'il est à Miami. Le tueur perd son sang-froid et se met à hurler. Il s'agit en fait de The Mask et il décide de s'installer dans le bureau de Don Mozzo et prendre la tête de ses affaires. Dès le lendemain, il se rend à la fête de mariage de la fille de Giuseppe Pescaro. Il y fait exploser une bombe, tuant toute la famille et tous les invités. Les autres familles de la pègre n'ont plus qu'à numéroter leurs abatis.
La fin du premier tome laissait supposer qu'une suite était probable car le masque n'était pas détruit et se trouvait dans un endroit où il pouvait être récupéré. John Arcudi ne perd pas de temps et commence par prendre les dispositions nécessaires pour que le précédent porteur du masque ne puisse pas le porter à nouveau. Une fois le lieutenant Kellaway écarté, il reste à savoir qui va en hériter. Cette fois-ci, le masque se retrouve sur la tête d'un criminel minable et bègue (oui, ce n'est pas une tare) qui comprend vite qu'il n'a pas intérêt à l'enlever car il devient ainsi tout puissant. Les 2 premiers épisodes proposent un jeu de massacre pétri d'humour noir car la personnalité de The Mask supplante celle de Nunzio pour accomplir ses objectifs. Pendant ce temps-là, Kathy essaye de trouver un moyen de mettre fin au massacre. Arcudi a donc choisi ne pas s'attarder sur un personnage en particulier, mais de renouveler les conditions de manifestation de The Mask, en renouvelant celui qui le revêt. Fort heureusement, Doug Mahnke est lui aussi de retour pour mettre en scène l'exubérance mortelle de The Mask.
Passé l'épisode zéro du premier tome, Doug Mahnke avait fait preuve d'une narration visuelle à la précision maniaque, et d'un sens visuel d'humour noir très violent et pervers. Le lecteur retrouve en pleine forme pour ce deuxième tome. Ça commence par un tueur assassinant froidement Kellaway alors que ce dernier est à terre et lui tourne le dos, avec une contreplongée très parlante. Ça continue avec les occupants de la voiture passant à travers le pare-brise dans une case que l'on croirait dessinée par Geoff Darrow. Le lecteur peut ensuite voir une rue jonchée de cadavres de porte-flingues alors que The Mask vient de la parcourir. Il peut ensuite voir 4 porte-flingues tressauter sous l'impact des balles, avec des petits points rouges à chaque endroit où la chair a été perforée. L'un des moments les plus impressionnants en termes de violence correspond à une scène d'automutilation où un personnage s'entaille la joue gauche avec un couteau tranchant, lentement comme s'il ne ressent rien. La force des dessins provient de leur approche factuelle, sans exagérer l'aspect gore, sans dramatiser l'acte par des angles de vue ou par une accélération des mouvements. Le lecteur n'éprouve aucun plaisir esthétique : il est déstabilisé par la plausibilité de l'acte, par sa mise en scène factuelle.
À d'autres moments, Doug Mahnke joue sur les exagérations pour créer un effet comique. Il faut voir la tronche de l'un des 3 tueurs en train de râler sur la méthode en s'adressant aux 2 autres, pour se rendre compte à quel point ce n'est pas le moment de se comporter ainsi. La première apparition de The Mask se fait avec un gros plan sur tête, ses yeux exorbités, sa dentition chevaline, son sourire halluciné, irrésistible dans son entrain maniaque. Ainsi lors de ses apparitions, certaines cases ne jouent que sur l'humour du décalage entre la situation et son apparence ou son occupation du moment : en armure sur un cheval carapaçonné avec une lance de joute, les yeux lui sortant de la tête comme le loup de Tex Avery, fonçant droit devant en tenue de footballeur avec une balle sous le bras gauche, en caleçon rose avec des motifs de lapin, etc. La narration visuelle gagne encore en force quand l'artiste marie la violence avec l'humour. Le lecteur ne peut pas se retenir de sourire devant le visage brûlé au troisième degré de The Mask, alors qu'il ressort de la propriété de Giuseppe Pescaro où il a été pris dans le souffle de sa propre bombe incendiaire. Il pouffe bêtement en découvrant les porte-flingues de monsieur Yung, criblés de fléchettes. Il rit quand Walter envoie son poing dans la figure d'un prisonnier qui essaye de s'attirer ses bonnes faveurs malgré le nez éclaté, et le sang coulant le long du visage. Les auteurs ont l'art et la manière de transformer le lecteur en un individu prenant un plaisir sadique à la souffrance d'autrui.
Il faut croire que la première minisérie a rencontré un vrai succès, pour que l'éditeur Dark Horse décide d'en commander une deuxième. Le lecteur comprend que John Arcudi ne souhaite pas transformer cette série en une série mensuelle, The Mask devenant un anti-héros comme un autre. Il continue donc de mettre en œuvre une violence cathartique, mais dont les excès ne prêtent pas à sourire car la souffrance humaine est bien réelle. Ce choix de ne pas transformer le masque en un objet de pouvoir de plus se manifeste également dans le fait que plusieurs personnages font le constat des morts atroces, à la fois en nombre et en horreur. En particulier Kathy conserve un point de vue normal par rapport à The Mask. C'est un choix courageux, car cela signifie que le lecteur ne peut pas se projeter dans The Mask. Il reste une sorte de manifestation meurtrière d'un personnage de dessin animé. Au début de l'épisode 3, Arcudi fait mine d'entamer une origine du masque en 4 pages, mais il change rapidement de braquet. Ce choix donne aussi l'impression que le scénariste n'est pas forcément bien sûr de la direction à donner à son histoire. Il lui faut un personnage qui soit capable de résister à The Mask pendant plus d'une page : en conséquence de quoi il ramène Walter, c’est-à-dire un deuxième personnage qui défie les lois naturelles. Le masque continue de passer sur la tête d'autres personnes : Nunzio, puis un autre protagoniste déjà connu de la série.
Un lecteur habitué aux superhéros a l'impression que The Mask n'est pas un personnage assez étoffé pour pouvoir supporter une histoire conséquente. Le fait que l'un des porteurs soit une femme renvoie également à un artifice narratif utilisé par Marvel & DC à l'époque pour rajeunir leurs propres superhéros, en en créant des versions féminines. D'un autre côté, en procédant ainsi, John Arcudi indique que le personnage principal est bien le masque, et pas ses porteurs. Après le quatrième épisode, le lecteur s'interroge l'intention de l'auteur. Il s'agit d'un combat entre The Mask et Walter, brutal au-delà de l'imagination, tirant pleinement parti de la force de Walter, et des capacités de dessin animé de The Mask. Le lecteur s'amuse bien à assister à cet affrontement, tout en se rendant compte que les personnages ont du mal à exister, à acquérir de l'épaisseur, comme si les auteurs voulaient en donner pour leur argent aux lecteurs, tout en préservant la possibilité d'une suite, sans vouloir conclure.
Cette deuxième histoire de The Mask reprend les meilleurs ingrédients de la première pour des manifestations toujours aussi démentes de The Mask, et un carnage énorme, mais aussi très concret. Doug Mahnke fait preuve d'une conviction et d'une verve visuelles extraordinaires, donnant du rythme et de la force à aux pitreries mortelles de The Mask. John Arcudi structure son intrigue de manière à ce que le lecteur comprenne que le personnage principal est le masque, tout en écrivant les scènes de massacre attendues, mais en donnant l'impression d'être un peu court en termes d'intrigue, et en utilisant certains artifices des comics de superhéros.