Quand sort le film The Mask en 1994 je ne suis encore qu’un sale mioche comme tant d'autres mais je suis époustouflé par la folie du film, cette idée d'un masque qui offre à celui qui le porte tous les pouvoirs possibles et supprime ses inhibitions passées. La série animée qui suit est assez sympathique. La découverte du jeu vidéo sur Super Nintendo m’occupa quelques temps, malgré une prise en main assez difficile.
Mais en relisant les pages de la mythique revue Spécial USA (renommée après USA magazine, qui fera connaître la scène indépendante de la BD américaine avec Richard Corben, Will Eisner, Sin City de Frank Miller, Rocketeer de Dave Stevens et d'autres) que possédait mon père, je découvre que le film est adapté d’un comic. Stupeur juvénile ! Les quelques extraits présentés en montrent une œuvre bien plus sanglante que le film.
J’attendrais longuement la parution de ces épisodes.
Pourtant, le personnage fera quelques apparitions dans nos publications françaises grâce aux crossovers dont le public est fan. En 1998 dans le Planète Comics ,°5 « Grosse tête », surnom donné au Masque, se retrouve face à The Grifter, assez connu dans ces années. L’histoire n’est guère intéressante. Dans le Spécial DC n°10 en 2000, édité en album en 2007, la mini-série Joker/Mask est bien plus sympathique, même si elle se rapproche des incarnations animées de ces deux figures.
Mais s’il ne fallait en retenir qu’un, ce serait le premier numéro de Spécial DC en 1997, qui voit The Mask affronter Lobo, personnage de loubard intergalactique amateur de bières et dont les aventures sanglantes jurent dans le catalogue de DC. C’est une claque, cinglée et violente, où les deux s’en donnent à coeur joie, l’un et l’autre étant des cinglés psychopathes enfermés dans une spirale de destruction alors que tous deux sont immortels. La Terre en ressortira plus anéantie que jamais.
Cette histoire déjantée et amorale m’a de plus permis de prendre connaissance qu’il pouvait y avoir d’autres histoires que la lutte entre le bien et le mal dans les comics, quitte à les écrire à coups de pied dans la gueule.
Et malgré la certaine popularité de The Mask, seul Dark Horse France prendra le risque en 1995 de publier les aventures du personnage, et encore, une mini-série, pas la première. Mais l'éditeur est un petit poisson, et l'aventure prendra l'eau. Aucun éditeur français ne prendra le risque de publier les différentes mini-séries en lien avec les porteurs du masque, dont la violence pourrait émouvoir les petites têtes blondes qui ne connaissent que la version "familiale". Jusqu'en 2019.
Il faut ajouter que l'histoire éditoriale n’est pas si évidente, le personnage a été imaginé en 1982 par Mike Richardson, le fondateur de la célèbre maison d’édition Dark Horse. C’est aussi à lui qu’on doit Timecop avec Mark Verheiden, adapté avec Jean-Claude Van Damme. Le personnage est introduit dans la revue anthologique Dark Horse Presents en 1987, confié à Mark Badger pour 11 numéros. Le ton pris ne plait pas, Mark Verheiden charge Chris Warner de redessiner The Mask. Le personnage est alors confié à John Arcudi et Dough Mankee qui en feront la figure iconique qu’il est avec la mini-série Mayem puis les suivantes.
C’est dommage, mais toute cette histoire éditoriale est complètement absente de la parution chez l’éditeur Delirium, au catalogue rempli de bonnes choses, qui a décidé de publier fin 2019 ces aventures débridées. Enfin ! Toute la production éditoriale allant jusqu’à Mayem en est absente, pour proposer les deux suivantes, The Mask et The Mask Returns, publiées entre 1991 et 1993. On peut ronchonner, et peut-être espérer que ces œuvres de jeunesse fassent l’objet d’une édition ultérieure en cas de succès massif, mais difficile de bouder son plaisir : enfin le public français va pouvoir découvrir les fondations du personnage.
Quelques déceptions devront donc être acceptées, à l’image de ce scénario finalement assez classique, mettant les différents porteurs du masque face à une organisation de mafieux assez habituelle. Si Stanley Ipkins en est épargné, c’est parce que le masque sera vite subtilisé par Katherine, qui en fera la distribution au lieutenant Kalloway, une offre soumise à conditions qui ne sera guère respectée, le masque n’en faisant un peu qu’à sa tête.
Le cadre rappellera donc certains décors de séries policières des années 1990, avec les agents de l’ordre qui font leur travail comme ils peuvent, soumis aux ordres de leurs responsables ou de certains avocats plus filous que d’autres, et ces gangsters qui tentent de juguler l’hécatombe laissée par « Grosse tête » dans leurs rangs. Seul le molosse Walter sera un antagoniste valable face à lui, une force de la nature mutique et apparemment invulnérable dont l’inflexibilité et l’impassibilité font un bon contrepoint à la folie de The Mask.
Pour autant, même si ces histoires entre policiers et malfrats ne sont pas particulièrement originales, c’est bien l’inclusion du personnage masqué dedans qui entraîne la sympathie, tout lui est possible, c’est un éléphant dans un magasin de porcelaine. Si le film The Mask affichait sa filiation pour Tex Avery, permettant au métrage de suivre un modèle plus grand public, le comic puise dans une veine bien plus agressive, créant une ambiance de cartoon transgressif qui ferait hurler plus d’un enfant.
The Mask se déguise, s’inventant des scénarios débiles qui seront sans conséquences pour lui, moins pour les autres personnes impliquées dans ces jeux de rôle qui s'avèreront. Il sort des armes d’entre-les-cases qu’il utilise pour transpercer, déchiqueter ou exploser, tandis qu’il débite répliques de films, punchlines détonantes et se moque sans merci de toutes les personnes qui se trouvent impliquées, y compris de lui-même. Il peut se faire transpercer le torse, éclater la tête, il survit à tout, dans son excès et sa folie habituelle.
Cette exubérance 18+ s’exprime dans les 9 épisodes ici reproduits par le dessin de Doug Mahnke. L’évolution est d’ailleurs assez saisissante, les premières pages étant encore un peu maladroites, assez confuses et le trait irrégulier, surtout sur les visages. Mais progressivement Doug s’améliore, son trait devient plus assuré, le réalisme de ses personnages humains contraste avec l’expressivité de The Mask, dont les rictus remplis de ses grandes dents sont ravageurs, tandis que la folie se lit sur son visage. Les pages deviennent même de plus en plus détaillées, la mise en scène est de plus en plus entraînante. L’encrage (apparemment assuré par Doug) est même plus certain, plus appuyé dans la deuxième mini-série, tandis que le changement de coloriste est appréciable, même si les couleurs plus en nuances de la première ne manquent pas de charme.
Certaines pages sont tout de même incroyables, d’un sens du détail et de la composition assez bluffant. Voir The Mask déchirer son « masque » d’humain fait toujours son petit effet, tandis que certaines scènes plus musclées possèdent la vitamine attendue avec un tel zigoto. On pardonnera donc ces premières pages, loin d’être mauvaises, mais dont la maîtrise n’est pas encore là, et on peut la voir arriver assez rapidement.
C’est sûr, l’incarnation papier de The Mask est assez différente de la version ciné. Certes, quelques personnages sont toujours présents, quelques scènes ont été adaptées et il y a évidemment toujours ce personnage fantasque, sûr de lui et aux nombreuses capacités incroyables. On pourra s’étonner de l’absence de tension sexuelle, tout au plus quelques allusions, la version BD semble moins portée sur l’affaire que son homonyme incarné par Jim Carrey. D’ailleurs cette version cinéma propose une histoire tout de même plus construite, certes assez cinématographique mais très entraînante.
Ce n’est donc pas une mauvaise adaptation, loin de là, ce qui me rassure. Mais elle n’a évidemment pas la folie furieuse de ces quelques pages, où The Mask se révèle être un anti-héros ambigu, parfois même vilain, selon où l’entraînent ses délires. Mélangeant série policière et cartoon transgressif, l’histoire globale est un gentil prétexte, seuls comptent ses personnages parmi lesquels ce lutin à tête verte.
Une autre mini-série a été réalisée par les deux trublions artistes de cet épais volume, que Délirium a publié en octobre 2020 dans un plus court album. C'est une nouvelle fois de la bonne. L'éditeur a poursuivi son travail avec un troisième tome, même si la qualité a chuté et le dernier sert à compléter la collection, pas à se taper le cul par terre de jubilation. Même Urban Comics s'est joint à l'effort de guerre, en publiant Joker vs The Mask qui regroupe les aventures citées plus haut avec le Joker et Lobo (enfin !), et il serait dommage de rater sa lecture.
La production éditoriale a malgré tout été assez limitée, principalement concentrée sur les années 1990. Le personnage a connu un plus grand succès au cinéma qu’en papier, entraînant un certain nombre de dérivés. Même si on peut reprocher à l’éditeur français d’être assez avare en contenu supplémentaire, ne proposant en plus que les couvertures originales, il était temps qu’on puisse enfin découvrir le personnage dans ses meilleures aventures. Alors, merci, merci et merci.