Jadis il se disait que tout ce qui existait sur et en dehors d’Internet disposait d’une version porno sur la toile. Je m’étonne, pour ma part, qu’on ait jamais inventé une affirmation similaire au sujet des mangas ; à savoir que tout sujet et toute thématique possibles et imaginables sur Terre sont forcément traités quelque part par un manga (avec, peut-être aussi, sa déclinaison porno, qui sait. Mais ça, c’est un autre sujet…)
Et j’ai beau avoir déjà croisé dans ma vie de bédéphile quelques mangas aux thématiques pour le moins saugrenues, que j’avoue malgré tout ne m’être jamais préparé à tomber un jour sur une œuvre traitant de… Thermes romains.
Oui ! Des putains de THERMES ROMAINS !
Plus « de niche » que ça tu meurs !
(Franchement, en vrai, c’est fascinant…)
Alors après – j’entends – le problème qu’il y a avec ces œuvres totalement de niche, c’est qu’elles ne sont pas clairement pas accessibles à grand monde, et il suffit d’ailleurs de prendre le synopsis de ce Thermæ Romæ pour s’en convaincre.
On est à Rome, au IIe siècle. Lucius Modestus est un architecte de thermes désœuvré. Son classicisme éculé ne séduit plus et il peine clairement à réinventer son art. Désespéré, il part rechercher l’inspiration dans un bon bain chaud. Et là – surprise ! – il se retrouve magiquement aspiré jusqu’au Japon contemporain ; un endroit où il va découvrir un rapport au bain qui va totalement bouleverser sa représentation des thermes idéales…
Ah ça oui – c’est sûr – dit comme ça, il est évident qu’il va falloir s’attendre à ce que ça parle de thermes, de leur histoire, de leur fonctionnement…
Beaucoup…
Tout le temps…
Dans les moindres détails…
Et à moins d’être vraiment fasciné par les thermes romains, c’est vrai que ça peut clairement faire mur auprès d’un certain nombre de lectrices et de lecteurs…
…Mais bon, voilà, il se trouve que, moi, je suis totalement fasciné par les thermes romains (et non, ce n’est pas une blague), donc autant dire que lorsqu’on m’a offert cette bande dessinée, j’ai sauté de joie.
Pensez-vous donc, une autrice japonaise se lançant sur une thématique comme celle-là, ça ne pouvait que m’interpeller et potentiellement me séduire.
Et j’avoue que, pour le coup, je n’ai pas été déçu.
Pas déçu d’abord du fait que Mari Yamazaki – l’autrice en question – ne s’est pas lancée dans cette thématique-là par hasard. Les thermes romains, elle aussi elle adore ça. C’est une véritable passion (oui, ces gens existent) et ça se ressent tout le long de ce premier tome.
Au-delà du soin apporté à la reconstitution, l’exploration et la mise en valeur de ces remarquables ouvrages architecturaux, Yamazaki agrémente régulièrement ses pages de notes personnelles sur son rapport à la chose, jusqu’à glisser ça et là des photos de son éditeur en train d’ausculter avec passion les différents bains rencontrés dans les magasins dédiés.
Alors c’est vrai que ce n’est pas ça qui fait la qualité de l’œuvre, mais c’est ce genre de précision qui permet clairement d’instaurer un état d’esprit sans lequel il est difficile d’accéder à ce qui fait l’intérêt véritable de ce Thermæ Romæ.
Car c’est vrai qu’en termes d’intrigue (« termes » sans « h » cette fois-ci, ho ho !), Yamazaki ne joue pas dans l’originalité ni la subtilité. La structure narrative est aussi connue qu’archi-simple : on pose tout de suite le personnage principal dans une impasse personnelle et puis – coup de baguette magique ! – un tour de passe-passe scénaristico-fantastique le balance au Japon afin de justifier l’apparition dans l’intrigue d’une solution toute cuite, simple prétexte à l’exploration des spécificités techniques de chacun des modèles.
Or justement, pour qui a saisi que l’enjeu de l’œuvre de Yamazaki se trouvait dans le bain plutôt que dans l’histoire, le tour de passe-passe est plus qu’accepté. Il est même apprécié.
On ne s’embarrasse pas de fioritures inutiles. On joue des clichés pour permettre d’aller le plus directement possible au sujet. Au-delà de ça même : je trouve que Yamazaki a su s’appuyer de ces clichés pour aller le terrain qui, au fond, convenait le plus à ce genre de projet : la comédie fraiche et légère.
Parce que, non, ce n’est pas parce qu’on prend le parti du plus simple au niveau du scénario qu’on délaisse forcément ce domaine-là du manga. Car oui, pour ma part, je trouve qu’il y a là-dedans une forme de pari gagnant. Car si elle avait opté pour un ton sérieux et une intrigue complexe, Yamazaki aurait sûrement plombé tout son ouvrage, ajoutant de la lourdeur à une démarche qui, de base, peut déjà apparaitre comme rêche, car très tourné vers l’exposition d’espaces et de techniques.
Là, en jouant de codes proches du shônen, on se croirait presque dans une version thermale du Petit chef de Daisuke Terasawa. Et vas-y que Modestus entre en transe quand il découvre le bain assis. Et rebelote quand il comprend les vertus de la pierre volcanique. Et on est à deux doigts de l’illumination nirvanesque quand, pour la première fois, il teste le système de jet d’eau nettoyant la raie du cul.
S’ajoutent à cela toutes les réactions convenues et attendues de celui qui ne comprend pas ce qui lui arrive et qui spécule sur ceux qu’il découvre avec circonspection. Des quiproquos qui sont d’ailleurs réciproques puisque chacun est amené en permanence à s’étonner de ce que l’autre trouve révolutionnaire ou au contraire totalement commun.
Seulement voilà, l’effet a beau être connu, qu’il n’en reste pas moins un « fluidifiant » très efficace. D’autant plus efficace qu’il nous est familier et qu’il permet, en conséquence, d’enchainer les chapitres avec légèreté.
Alors c’est vrai qu’à l’inverse, ce genre de petite routine a pour inconvénient de peiner à générer chez le lecteur des effets d’appel. On a beau finir un chapitre en se disant que c’était instructif et amusant qu’on ne ressent pas pour autant d’impatience particulière à lire la suite. On se dit que, sûrement, grâce à sa nouvelle invention, Modestus aura à nouveau gagné en notoriété, et qu’en conséquence il va se voir à nouveau proposé un défi encore plus dingue et que – par voie de conséquence – il va une fois de plus vouloir aller au bain pour trouver une solution pour qu’il lui arrive ce qui lui arrive à chaque fois en ce genre de circonstance… (Quelle surprise…)
C’est sûrement le principal point faible de ce Thermæ Romæ , assurément.
…Le point qui conduira d’ailleurs sûrement pas mal de lectrices et de lecteurs à décrocher au cours du tome. Parce qu’au bout du compte, le verdict semble pour moi sans appel : sans un attrait ou une curiosité particuliers pour les bains romains ou japonais, tout ça risque de paraître très vite de paraître bien plat et bien vain.
Difficile sans ça d’apprécier le style adopté par l’autrice pour essayer de marier d’un côté l’esthétique de la Rome antique à celle du manga burlesque de l’autre.
Difficile également, sans cette curiosité pour les thermes, d’être sensible à la grande habilité déployée pour produire à la fois des décors riches d’informations mais aussi des pages en noir et blanc qui ne soient pas trop surchargées et par conséquent illisibles et sans dynamiques.
Et donc difficile enfin, sans cette passion, de trouver la motivation à enchainer les chapitres.
Moi-même, je le concède : quand j’ai fini ce tome 1 de Thermæ Romæ , je n’ai absolument pas ressenti l’appel d’un tome 2.
Pourtant Yamazaki s’efforce de conclure sur un cliffhanger concernant le destin de ce pauvre Modestus. Seulement voilà, soyons honnête : ça m’en a humidifié l’une sans pour autant me mouiller l’autre. C’est que, le destin de Modestus, je m’en fous un peu.
Est-ce que cela veut donc dire que, malgré mon plaisir sur ce tome 1, je compte passer mon tour pour la suite ?
Eh bien non. Ce tome 2, c’est évident que je me le lirai. Car s’il est vrai que l’effet d’appel n’est pas là – comme à la fin de chaque chapitre – ce n’est pas ça qui fait qui me fait retourner vers cet ouvrage-là.
De mon point de vue, Thermæ Romæ n'est pas un ouragan qui nous emporte passionnément ni même un univers qu’on entend parcourir de fond en comble. Thermæ Romæ c’est un peu comme… Bah comme un bain chaud.
Ça n’a pas vocation à nous transcender. Si on y va c’est pour être apaisé. Passer un bon moment. Et ressortir de là relaxé.
On ne va pas au bain dans l’espoir d’y vivre des choses trépidantes, et c’est un petit peu la même chose avec Thermæ Romæ.
Mais un peu comme chaque bain a quelque chose à nous offrir de spécifique, chaque tome et chaque chapitre est à percevoir comme une opportunité pour découvrir quelque chose de nouveau sur le bain ou sur le rapport au bain.
Alors oui, c’est sûr que ça ne parlera pas à tout le monde. C’est sûr que c’est là un manga qui fera surtout écho aux passionnés de thermes romains mais, d’un autre côté, n’est-ce pas justement là toute la beauté du manga ? Telle une règle 34 de la bande dessinée, savoir offrir pour chacun une expérience bien à soi ?