Avec Tintin et l’Alph-Art (1986), Hergé laisse les fans dans un état de curiosité frustrée, comme un explorateur qui aurait trouvé un trésor… mais sans la carte complète pour y accéder. Dernière aventure (et inachevée) du célèbre reporter à la houppette, cet album propose une plongée intrigante dans le monde de l’art contemporain, mais sa condition d’œuvre posthume lui donne un goût amer d’inachevé.
L’intrigue démarre de manière prometteuse : Tintin se retrouve impliqué dans une affaire mêlant un mystérieux gourou, des œuvres d’art avant-gardistes, et des machinations où les faussaires côtoient les sectes. Bref, un cocktail qui annonce une enquête bien dans la veine des meilleures aventures du reporter. Malheureusement, comme une toile à moitié peinte, le récit s’arrête net avant de livrer ses secrets, laissant un trou béant là où l’on espérait un chef-d’œuvre.
Tintin reste fidèle à lui-même : courageux, curieux, mais sans grande évolution ou surprise. Ce qui pique ici, ce n’est pas tant lui que le contexte : le monde de l’art contemporain, avec ses absurdités et ses mystères, offre un terrain de jeu fertile. Les fans de Haddock auront aussi leur dose d’exclamations cultes et de mauvaise foi, mais son rôle semble ici plus effacé qu’à l’accoutumée.
Le vrai charme de L’Alph-Art, ce sont ses promesses. Les esquisses d’Hergé dévoilent des scènes fascinantes et des dialogues piquants, notamment autour de l’art moderne, qui est à la fois moqué et célébré. Mais cette richesse potentielle est bridée par l’absence de finalisation. Les personnages secondaires, souvent le point fort des albums de Tintin, manquent ici de consistance, la faute à leur développement laissé en suspens.
Visuellement, même à l’état de brouillon, le style d’Hergé reste impeccable. Les cases inachevées laissent entrevoir une construction graphique soignée, où le monde de l’art contemporain prend vie avec un charme particulier. Cependant, ce contraste entre les pages finalisées et les croquis peut dérouter, rappelant constamment au lecteur qu’il s’agit d’une œuvre incomplète.
Le principal défaut de Tintin et l’Alph-Art est intrinsèque : son inachèvement. L’absence d’une conclusion et de nombreux détails non peaufinés transforment l’expérience en un exercice frustrant, où l’imagination du lecteur doit combler les vides. Certains y verront une curiosité fascinante, une sorte de regard dans l’atelier d’Hergé ; d’autres resteront sur leur faim, regrettant de ne pas avoir eu droit à un dernier tour de piste achevé pour le reporter.
En résumé, Tintin et l’Alph-Art est un album à part, un testament inachevé du talent d’Hergé, mais aussi une invitation à imaginer ce qu’aurait pu être cette ultime aventure. Entre fascination et frustration, il laisse un sentiment mitigé : celui d’avoir touché du doigt une idée brillante sans pouvoir en profiter pleinement. Une œuvre pour les passionnés, et un mystère pour les rêveurs.