Avec Tintin et les Picaros (1976), Hergé emmène son reporter favori en Amérique du Sud, au cœur d’une révolution qui semble plus préoccupée par la mise en scène que par l’idéologie. Entre une satire du pouvoir, une bande de révolutionnaires déjantés, et un Tintin un peu blasé, cet album clôt la série sur une note décalée, parfois déroutante, mais non dénuée de charme.


L’histoire s’ouvre sur un coup de téléphone dramatique : la Castafiore et son entourage ont été arrêtés en San Theodoros pour une prétendue tentative de coup d’État orchestrée par leur hôte, le général Tapioca. Tintin, Haddock, et le professeur Tournesol, bien que réticents (surtout Haddock), se retrouvent malgré eux embarqués dans une mission de sauvetage, qui les mène à s’allier avec les Picaros, une bande de révolutionnaires... peu révolutionnaires.


Tintin, habituellement moteur de l’action, prend ici un rôle plus en retrait. Moins aventureux, plus réfléchi, il semble presque détaché des événements, préférant la chemise hawaïenne au trench coat emblématique. Cela donne une nouvelle facette au personnage, mais peut laisser les fans de la première heure un peu perplexes. Heureusement, Haddock, avec ses colères légendaires et son verbe fleuri, est là pour dynamiser les dialogues et provoquer quelques rires.


Les Picaros, quant à eux, sont une parodie hilarante de la révolution : alcooliques, désorganisés, et plus préoccupés par leurs pantalons bouffants que par leur cause, ils incarnent une critique acerbe des mouvements pseudo-révolutionnaires. Le général Alcazar, toujours aussi caricatural, brille par son inefficacité et son incapacité à maintenir l’ordre parmi ses troupes.


Visuellement, Hergé livre une œuvre toujours soignée, avec des décors luxuriants de jungle et des scènes de foule bien orchestrées. Cependant, les paysages denses manquent parfois du charme et de la diversité des autres albums, et l’ambiance générale semble plus sombre, presque fatiguée, reflétant peut-être l’état d’esprit de l’auteur à l’époque.


Narrativement, l’album est riche en satire, mais manque d’action par rapport aux aventures classiques de Tintin. La mission de sauvetage se déroule sans grands rebondissements, et les enjeux semblent moins intenses que dans les précédents tomes. Cela dit, la réflexion sous-jacente sur le pouvoir, les manipulations politiques, et l’absurdité de certaines révolutions apporte une profondeur bienvenue.


Enfin, l’humour est omniprésent, mais souvent plus subtil, voire mélancolique. Les clins d’œil à des personnages récurrents, comme Bianca Castafiore et les Dupondt, ajoutent une touche de nostalgie, mais ne suffisent pas à compenser une intrigue parfois trop linéaire.


En résumé, Tintin et les Picaros est une aventure atypique et satirique, qui offre une conclusion décalée aux aventures de Tintin. Si l’album manque un peu de la fougue et de l’intensité des précédents, il compense par une critique sociale intelligente et des moments de comédie bien sentis. Une révolution qui tourne rond... mais pas trop vite, avec un Tintin en pilote automatique et un Haddock toujours fidèle à lui-même.

CinephageAiguise
7

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le 19 déc. 2024

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