Watchmen accomplissait le délicat exploit de montrer toute la désuétude des super héros sans (trop) virer à la farce, le ton restant très pessimiste et crade. On y voyait toute l'incompatibilité des super-héros avec le monde moderne de l'époque, justiciers aux aventures dénuées de tout glamour que la société ne peut accepter, à moins qu'il ne deviennent trop puissants ou utiles pour être mis de côté. Alan Moore traite à nouveau de la question des costumés mais sous un tout autre angle fort intéressant.
Neopolis est une ville qui regroupe toutes les personnes dotées de super pouvoirs, ainsi que tous les robots et créatures surnaturelles ou extra terrestres possibles et imaginables, sans compter les accès aux dimensions parallèles. Un condensé de tous les délires de comics les plus absurdes possibles, un lieu où la bizarrerie est la norme, servi par de beaux dessins aussi colorés que crasseux. On y suit un groupe de policiers vivant diverses enquêtes, sans réel fil rouge. Le but est ici simplement de vivre au quotidien le cauchemar logistique et administratif que représente une ville où n'importe qui peut faire n'importe quoi avec des pouvoirs imprévisibles. Et c'est franchement hilarant. Alan Moore s'amuse à parodier les clichés des super héros tout en laissant tout leur sérieux aux personnages, aucunement ridiculisés.
Parlons en des personnages, ils ont toujours constitué une force chez Alan Moore. Ici, l'écriture est magistrale. On a une très belle caractérisation de chaque protagoniste malgré leur nombre, tous trouvent leur moment de gloire et tous sont intéressants. Leur quotidien est amené naturellement et on prend le plus grand plaisir à les voir régler leurs affaires policières aux proportions démesurées. Tout ce petit monde est identique au nôtre, mais dans un univers absurde pris au sérieux par les personnages. On a par exemple la question du racisme qui est dépeinte avec humour (la répartie d'un policier robotique est impayable) mais aussi justesse, Alan Moore n'hésite pas à nous présenter après-coup la bêtise crasse d'un personnage qu'on aura pourtant pris le temps d'apprécier. On alternera entre l'absurde et le tragique, cet univers ne portant pas toujours à rire malgré le plaisir manifeste d'Alan Moore à dézinguer la tendance des comics l'escalade sans fin.
Après un premier cycle qui me paraissait bien suffisant pour apprécier cette blague, Moore enchaîne avec un récit qui s'attaque cette fois à l'heroic fantasy. Changement de style, changement de dessinateur. Personnellement, j'ai trouvé cette partie assez hors-sujet et je n'ai pas apprécié la nouvelle patte artistique qui rend les personnages méconnaissables. L'histoire avait ses moments amusants, mais ça commençait à faire durer la blague trop longtemps. Même chose avec le dernier récit. Si les dessins y sont bien plus satisfaisant et dans le ton adéquat, l'histoire est trop courte pour se montrer captivante et n'apporte rien au cycle original. Ces deux dernières histoires me font l'effet d'un prolongement inutile de la saga. Ils constituent un petit rab' pas forcément désagréable, parfois sympa, mais qui fait durer l'ensemble un peu trop longtemps pour que l'on puisse penser à Top10 avec la même appréciation qu'à la fin du 1er cycle. Ce n'est pas un massacre, mais c'est un peu dommage. Par contre Alan Moore qui confirme qu'il a une tolérance malavisée de l'inceste ou des relations avec un personnage de 16 ans, comme on le reverra plus tard dans Filles Perdues, ce n'était pas judicieux.
Top10 est une critique bien amusante des comics qui partent dans la surenchère, au propos moins simpliste qu'on ne pourrait le croire. Avec ses idées en pagaille, ses cases truffées de détails et ses personnages admirablement bien croqués, ce pavé est une lecture à ne pas louper.