Pas facile d'enchaîner quand tu t’es fait remarquer par deux romans graphiques autobiographiques (ça fait deux fois graphiques), relatant tes années lycée avec un camarade un peu chelou, plutôt alcoolique et malsain qui sera plus tard arrêté pour le meurtre de 17 garçons, le tristement célèbre Jeffrey Dahmer (Mon ami Dahmer) et ta période punkrock où tu côtoyais quelques figures du genre (Punkrock & mobile homes). L’idée de poursuivre avec une version romancée de ton expérience en tant que ramasseur d’ordures pour un bled paumé de l’Ohio semble un peu casse gueule. Pourtant Backderf, dont le talent n’est plus à confirmer, s’en sort admirablement bien. L’oeuvre est une réadaptation de sa première bd du même nom, mais développée, améliorée et transposée à l’époque actuelle.
J.B. (initiales de John Backderf, Derf n’étant pas un prénom), 21 ans, revient vivre chez sa mère après avoir arrêté ses études. La glande quotidienne aura vite fait d'excéder son entourage et de le conduire à ouvrir le journal local pour répondre aux annonces emploi, ce qui est souvent le meilleur moyen pour se retrouver au bas de l’échelle sociale, plus particulièrement au cul d’un camion poubelle à ramasser la merde des gens par tout temps pendant une année complète. A subir les immondices, les éclaboussures, les intempéries, les gens qui ne te considèrent pas mieux que les déchets dont tu les débarrasses et aussi l’ambiance virile débilitante des collègues, les scènes de salle de pause parleront à mon avis à quiconque ayant un peu (ou beaucoup trop) travaillé en milieu ouvrier masculin. Ordures à tout les étages.
"Imagine l'économie comme un immense tube digestif. Et nous on est là, devant le trou du cul du libéralisme."
Avec une narration dans la lignée de ses précédents ouvrages, tout en anecdote et en humour cynique et blasé, Backderf réussit à imposer une critique de cette société qui produit et jette à l’excès, qui tente tant bien que mal de se donner bonne conscience à travers un tri sélectif et un recyclage trop peu efficace (“Oh, super ! Encore une montagne d'ordures ! Mais regarde... ces porcs recyclent scrupuleusement. Typique. Ils envoient 30 sacs de merde à la décharge, mais ils recyclent quelques bouteilles de lait... ...du coup ils sont "verts".”). Il décrit encore une fois la morosité des petites villes de banlieue blanche américaines où tout le monde se mêle de tout mais ne s'intéresse à rien et dresse avec justesse l'absurdité et l’injustice inhérents aux milieux professionnels les plus bas sur l’échelle sociale. Et malgré toute cette crasse et cette ambiance sordide, les personnages, même les pires, restent touchants et drôle et on se retrouve à dévorer un bouquin qui de base n’était vraiment pas alléchant.