Déjà avec un seul c'est compliqué
Le saint suaire a toujours intrigué les scientifiques. Vrai ou faux linceul du Christ, de nombreuses tentatives ont été menées pour vérifier son authenticité. L'Eglise commença par ne pas du tout le reconnaître comme une sainte relique puis autorisa son ostentation. Elle se refusa à le laisser étudier par les savants pour finalement l'autoriser. Les résultats n'allant pas dans son sens, d'autres scientifiques à sa botte trouvèrent des contre-arguments prouvant qu'il s'agit du vrai suaire. La foi a assurément ses propres doutes et c'est sur cette thématique que trois auteurs se sont penchés.
« Trois Christs » nous présente trois possibles quant au suaire. On y trouve des personnages communs aux trois histoires dont les principaux sont Luc, le sculpteur venu terminer le retable de l'église de Lirey en Champagne durant la semaine sainte, Geoffroy de Charny, le maître des lieux revenu de guerroyer contre l'anglais, son épouse Isabelle, la machiavélique, et le chanoine qui veille au maintien de la foi.
Luc va se trouver impliqué dans les trois variations et c'est lui qui va changer l'histoire. Lors de la première histoire, il est présumé que Dieu existe et que le suaire est bien réel, même si Luc se voit confié la création d'un faux pour le peuple, car le seigneur de Charny veut garder le vrai pour lui seul. Dans la seconde variation, Dieu n'existe pas et il faudra à Luc créer un faux suaire, mais où trouver un corps ? Les hommes d'église et de pouvoir seront alors prêts à tout pour donner à la cité un suaire qui fera venir de nombreux pèlerins.
Enfin dans la troisième histoire, le Christ sera radioactif. En effet, une des hypothèses pour expliquer les marques du linceul est la radioactivité. Mais, par définition, la radioactivité n'a qu'un temps et risque de s'effacer au final. De même, elle n'est pas sans conséquence sur les populations. Luc sera encore une fois pris à partie, mais son aspect christique sera exploité par la populace et les maîtres des lieux.
L'aspect remarquable de ces trois histoires réside dans le vaste puzzle qui les compose. En effet, une image pourra être utilisée par différentes histoires. Il en va de même pour les textes. Ces visions alternatives qui se succèdent donnent un goût particulier à cette bande dessinée. La postface argumentée nous donne un éclairage global de toutes les thèses et de l'historique du suaire. Le recyclage, l'appui historique et les différentes variations à partir des mêmes graphismes et dialogues donnent à l'ensemble une incroyable force créatrice et novatrice.
« Trois Christs » est l'œuvre commune de trois auteurs. D'abord il y a Valérie Mangin qui est la scénariste et qui a su créer les trois variations sur le thème du suaire. Ensuite Denis Bajram, à qui on doit également la fabuleuse UW1, est le dessinateur et surtout le coloriste de toutes ces histoires. Les couleurs sont un assemblage de pixels qui gardent une imprécision très agréable dans la texture et s'accorde parfaitement avec le flou qui entoure ce mystère. Enfin Fabrice Neaud est l'auteur de la préface et des postfaces qui ponctuent brillamment les variations et y apportent la touche scientifique et hypothétique de toute l'histoire. A noter que cette bande dessinée est dors et déjà retenue pour le prochain Festival d'Angoulême. Etrange et ingénieux.