Un amour de marmelade par Sejy
Perspective héritée d'une science-fiction Belle Époque qui convoque l'imaginaire des Lang, Vernes ou Méliès ; rétro-vision du futur à tendances industrie lourde, architectures acier-rouillé, et machineries infernales : je fugue dans la vapeur et les gros boulons, sournoisement bouffé par une peinture qui envoie sévère dès la première toile. Sépia brossé, étiré, modulé en nuances crados d'un ex-Paris postapocalyptique succombé à la « Guerre des Trois Couleurs » (Paris... Guerre des Trois... Oh ! dis ! c'est homérique ?!), et premier contact avec Lutétia, nouvelle mégapole, nouveau monstre vicié. Une silhouette en contrejour, malmenée par la milice volante, se perd dans une poursuite en aérostat. Culbute, dégringolade puis baignade improvisée... Le trait se calme, la trame reprend son souffle ; gros plan : enfin, je le découvre, mon héros ! — ??? — Un ersatz de concombre filiforme, jelly frankensteiniste (it's alive !) sans doute échappé d'une horrible assiette anglaise. Je saurai plus tard... Quand même, cela renifle le cartoon, et cette irruption verdâtre incongrue fait craindre que mon « amour de marmelade » file en déconfiture. Non. Rassuré par l'apparition charmante d'une passe-muraille lunaire au teint et aux courbes Musidorans, je respire une autre atmosphère, soudain shooté aux effluves d'un feuilleton début Vingtième. Ce chapelet d'impressions me ramène à l'étiquette de la collection : 1000 feuilles... Mille-feuille.
Un dessert de planches manufacturé à la presse des bonnes intentions. Serrés-empilés-enchassés, les genres, les styles et les idées foisonnent. J'entreprends goulument la pâtisserie graphique dans cette intrigue qui fuse tous azimuts. Une fesse dans le conte fantastico-fantaisiste, l'autre dans le comic french-touch, je ne sais plus réellement où est posé mon cul. Qu'importe. Je colle aux basques de protagonistes irrésistibles, vadrouillant des toits enfumés aux entrailles de bas-fonds dangereux, assistant les expérimentations scientifiques les plus hasardeuses, explorant des jardins bucoliques, des abattoirs ensanglantés ou un bordel voluptueux. Un romantisme candide carambole des intermèdes plus grivois, les promenades idylliques se heurtent aux scènes de crimes odieux. J'ai touché le désespoir d'un amour égaré, les états d'âme d'un fantôme perdu, noyés dans la légèreté d'une aventure prodigue. Supiot semble avoir cédé à l'euphorie, s'accordant une parenthèse haute en couleurs, une échappée belle espiègle où il montre tant, raconte tant. Trop peut-être. L'emmerdant c'est que j'affectionne sans retenue le talent et la poésie visuelle du gogo. Le pinceau sous la gorge, je suis bien obligé de lui pardonner les impatiences du scénario et sa narration un chouia tachycardique. Oh, juste des petits cailloux dans la godasse : hoquets dans le rythme, dialogues ou contextes parfois avares, rebondissements hâtifs. À mon goût, cette aventure mériterait au moins le double de pages. Pénurie de papier ? Pénurie de temps ? Je le répète, je passe. Car l'histoire est source de plaisirs éclectiques quand elle invoque un onirisme plomb/plume/plomb redoutable, quand elle délaye un délicieux humour diaphane dans ses clins d'œil et offre la jubilation du furetage ludique dans les références ou allusions (... et personne pour apaiser mes irrépressibles envies de coups de coude).
Mais au-dessus de ces fausses bonnes raisons, là-haut, tout là-haut, c'est bien l'esthétisme de Supiot qui triomphe. Docteur es suggestivité, ses variations de couleurs impulsent un sens puissant à chaque case et empreignent les lignes profondes d'ambiances plurielles sublimées en autant de tableaux. J'ai le bonheur de visiter un charmant musée pour-ma-pomme s'émaillant d'éblouissantes madeleines picturales lorsque son conservateur-pasticheur Olivier décide (encore !?) de m'impressionner : petite régate à Argenteuil enchaînée d'une ballade sur pont nippon avant un dernier frichti sur l'herbe. Allez, un peu de monnaie pour mon guide préféré...
... et encore merci pour les yeux !