Ce tome est le quatrième d'une série au long cours, qu'il faut avoir commencée par le premier tome. Elle est écrite, dessinée et encrée par Takehiko Inoué. Au Japon, elle paraît en prépublication dans le magazine "Weekly morning" depuis 1998, en noir & blanc. En France, elle est publiée par les éditions Tonkam depuis 2001, en respectant le sens de lecture japonais, de droite à gauche.
Sérieusement blessé par ses combats successifs dans le dojo Yoshioka, Miyamoto Musashi s'écroule dans la rue et est ramené dans un estaminet par Jotaro, un gamin. Il reprend connaissance 3 jours plus tard, sous le regard goguenard du moine Takuan Sōhō. Ce dernier lui donne des nouvelles d'Otsu et de la mère Osugi Hon'Iden
Takuan Sōhō et Musashi font un bout de chemin ensemble en se dirigeant vers le monastère Kofukuji. Après l'incendie du dojo des Yoshioka provoqué par Matahachi, ce dernier est recherché par la police. Sa mère voit un avis de recherche placardé. Seijuro Yoshioka tient Musashi pour coupable de l'incendie. Denshijiro Yoshioka décide de poursuivre son apprentissage du sabre Sekishusai Yagyu. Toji Gion décide de poursuivre Musashi pour se venger de lui.
Takehiko Inoué poursuit son adaptation du roman d'Eiji Yoshikawa et montre la lente évolution de Tazeko Shninmen. L'enjeu du récit est clairement définit par le roman, mais aussi par les 3 premiers tomes du manga : Takezo veut devenir le plus fort au sabre, et l'histoire constitue un récit d'apprentissage.
Le lecteur perçoit donc la narration sur plusieurs plans. Du point de vue des péripéties, ce tome constitue une transition entre les affrontements au dojo des Yoshioka, et le prochain temple d'arts martiaux (le temple Hozoin, école de combat au bâton, ou à la lance). Musashi est sorti victorieux de combats contre les élèves d'une école de moindre renommée ; il se dirige vers une école de renommée un peu plus importante pour poursuivre son ascension parmi les samouraïs. De ce point de vue, la narration est un peu linéaire, comme si on passait d'un donjon au suivant dans un jeu, en gagnant un niveau.
Malgré tout, le traitement de ces péripéties sort de l'ordinaire des romans ou des bandes dessinées d'aventure dans la mesure où l'auteur montre les conséquences des actes de Musashi (et de Matahachi) au dojo Yoshioka. Musashi n'a pas simplement tué sauvagement 5 élèves de l'école Yoshioka, et on passe à la suite. Matahachi n'a pas simplement mis le feu à cette même école afin de servir de deus ex machina bien pratique pour sortir Musashi d'une impasse.
Le lecteur constate que les conséquences se propagent comme des ondes au milieu de l'environnement de Musashi. Il constate également que les effets sont différents suivant les individus. Tous les rescapés de l'école Yoshioka ne réagissent pas de la même manière. Ils ont tiré des enseignements différents du triomphe brutal de Musashi. Il voit également comment chacun interprète à sa manière ce à quoi il assiste. La déformation la plus flagrante provient de la mère de Matahachi qui nie les faits et les réarrange à sa sauce. De ce point de vue, cette histoire fait déjà partie du haut du panier.
Du point de vue de l'histoire personnelle de Takezo Shinmen, l'évolution est très progressive, donnant l'impression au lecteur d'être dans un récit trop balisé, trop linéaire. Il accueille donc avec plaisir le retour du bonze jovial et facétieux qu'est Takuan Sōhō. Ce dernier apparaît comme un sachant, un manipulateur, et un homme sage. Grâce aux talents de raconteur de l'auteur, le lecteur peut croire en ce personnage.
Takehiko Inoué n'en fait pas de trop, et Takuan ne se transforme pas en parodie de Tortue Géniale, ou de sage énigmatique et omniscient. Takuan manipule avec précaution Musashi pour l'aider à prendre conscience de ses émotions, et pour modifier son point de vue en l'élargissant. Conscient de ce comportement de mentor, le lecteur peut apprécier ses stratégies pour confronter les certitudes de Musashi à la complexité de la réalité. Sur ce plan, le récit prend une autre envergure, car le lecteur a également conscience que les points de vue et les convictions de Takuan correspondent à sa philosophie, en tant que figure historique de l'école Rinzai du bouddhisme zen.
La rigueur de la narration de Takehiko Inoué met le lecteur en confiance. L'auteur ne montre pas Takuan en train d'enseigner de manière magistrale ou dogmatique ; il le montre en train d'interagir avec Musashi, en train de l'exposer à d'autres idées. Un autre personnage (un vieux bonze) fait observer à Musachi que "Les vérités ont toujours l'apparence de truismes". Le lecteur applique cet aphorisme aux dires de Takuan, et son expérience de la vie lui permet d'apprécier la sagesse de Takuan (ou de la remettre en question). Contre toute attente, les interventions de Takuan finissent par convaincre Musashi (par ricochet, et pas instantanément) d'accepter de prendre la charge de Jotaro.
Avec ce tome, le lecteur constate que Takehiko Inoué continue de s'appliquer à lui-même la volonté de progression de Musashi, en particulier au niveau graphique. Déjà dans le tome précédent, il était visible qu'il s'était émancipé des codes graphiques les plus stéréotypés des mangas, préférant une approche la plus réaliste possible.
Les personnages disposent tous d'une identité graphique qui les rend aisément reconnaissables, sans qu'ils ne soient caricaturaux, grâce à leur morphologie, la forme de leur visage et de leur crâne, leur chevelure, leur vêtement, etc. En y regardant de près, les expressions de Takuan sont devenues plus mesurées, sans rien perdre en nuances. Takehiko Inoué a progressé de ce point de vue, réservant les expressions plus franches pour Jotaro (ce qui correspond bien à son âge).
Le traitement graphique des personnages assure donc une cohérence graphique à l'ensemble du récit. En y regardant de plus près, le lecteur constate que cette cohérence graphique n'est pas synonyme de monotonie. En ouvrant le volume au hasard, le lecteur constate qu'à chaque fois, il a le plaisir de voir une ou plusieurs cases singulières, même prises en dehors de la narration.
Il peut s'agit d'une bâtisse en arrière-plan dont l'architecture et la texture de matériaux sont rendues de manière saisissante, d'un toit avec des pierres dessus pour éviter que la toiture s'envole en cas de coup de vent, d'un combat nocturne où l'on devine à peine les combattants, d'une clairière magnifique, de Musashi sautant dans l'eau d'une bassin créé par une petite chute d'eau, du visage d'un bonze représenté comme une statue en bronze, etc.
Il y a malgré tout quelques affrontements physiques au cours de ce tome. À nouveau, Takehiko Inoué représente à la fois les combats comme un défi physique par lequel les personnages estiment progresser (enfin, ceux qui y survivent), mais aussi comme une confrontation de volonté. Takuan avait déjà montré qu'il en impose par sa simple présence physique.
Dans ce tome, c'est un vieillard (un vieux bonze qui cultive son champ) qui impressionne Musashi sans même le regarder, sans un geste hostile. À nouveau sans discours ou explication psychologique, Takehiko Inoué montre que ce qui se joue entre 2 individus ne se limite pas à l'affrontement physique, que chaque personne détecte dans le comportement de l'autre une partie de sa personnalité.
Pour ce quatrième tome, Takehiko Inoué poursuit son adaptation très fidèle dans l'esprit du roman d'Eiji Yoshikawa, tout en réalisant un manga fluide et sophistiqué. Le lecteur peut apprécier ce récit au premier degré, comme il peut en savourer les différents aspects littéraires, qu'il s'agisse de la lente ouverture de Musashi à d'autres réalités de l'existence, ou du jeu de miroir qui s'installe le niveau d'exigence de Musashi, celui de Takehiko Hinoué, et pourquoi pas le sien propre.