Wilfrid Lupano, l’un des scénaristes les plus réputés du moment (on lui doit notamment Un océan d’amour et la série Les vieux fourneaux), est ici associé au dessinateur Ohazar qui n’est autre que son frère Rodolphe, pour un album qui présente l’épopée des vikings sous un jour décalé.
L’album se présente sous la forme d’une succession d’épisodes sur une planche, parfois (souvent) découpés en deux parties, la deuxième apportant une sorte de chute humoristique, ou au moins ironique. Il ne s’agit pas d’une simple compilation permettant la parution d’un album de gags en une planche. En effet, organisées en chapitres, les planches respectent la chronologie d’une saison qui voit les vikings partir sur leur drakkar pour piller des contrées plus ou moins éloignées, avant de revenir chez eux. À vrai dire, les chutes de fin de page sont davantage amusantes que franchement hilarantes. Disons qu’elles sont à l’image de ces vikings, pas d’une finesse remarquable. D’ailleurs, le titre ne peut qu’évoquer celui du film : Gorilles dans la brume (Michael Apted, 1988) qui sous-entend le comportement peu civilisé de ces vikings (dans l’album, il est plutôt question de porcs).
Relations hommes-femmes
En effet, Wilfrid Lupano joue des clichés pour présenter ces vikings comme des brutes épaisses dont les femmes sont bien contentes de se débarrasser le temps d’une saison. Observer le comportement de ces vikings met en lumière les habitudes comportementales entre hommes et femmes, ce qui permet une petite évaluation de l’évolution des relations humaines (à faire par les lecteurs-lectrices). Ainsi, les hommes sont avant tout des guerriers qui ne pensent qu’à se battre pour piller les contrées qu’ils abordent et se satisfont de rapporter de leurs expéditions des objets censés plaire à leurs femmes. De leur côté les femmes remettent de l’ordre dans leurs foyers quand les hommes sont partis et elles déplorent le manque de finesse de ces hommes incapables de faire la distinction entre un objet de valeur (pour son esthétisme) et un autre complètement rafistolé, voire répugnant (pour diverses raisons). Par contre, des deux côtés, on commente pas mal tout ce qui se passe.
Les voyages forment la jeunesse
Du côté des hommes, le chef emmène son fils qui vit ici sa première expédition. Un peu naïf et pas vraiment taillé comme un guerrier, il comprend assez mal tout ce qui semble naturel à son père. Celui-ci justifie pas mal de choses par des références religieuses. Il jure souvent, en invoquant les nombreux dieux vénérés par son peuple (Thor, Odin, etc.) Les croyances religieuses sont assaisonnées d’une bonne dose de superstitions qui seront confrontées au christianisme émergeant pratiqué par les peuplades que ces vikings cherchent à piller. Le chef parviendra d’ailleurs à la conclusion que n’avoir qu’un seul dieu présente certains avantages.
Une vision moderne des vikings
L’album passe donc à la moulinette d’une vision moderne (l’album est conçu pour qu’on le sente pensé par des contemporains du XXIè siècle, même si on échappe aux trop classiques références du genre téléphone portable ou informatique), les comportements dans quelques situations typiques. Après la navigation, nous avons l’attaque d’un village, puis celle d’une place forte (avec scènes de combats), puis négociations. Les pratiques religieuses influent sur le mariage : pourquoi et dans quelles conditions le contracte-t-on ? Il n’est évidemment pas sans conséquences sur la vie des uns et des autres. L’album présente donc une sorte de choc de cultures que les auteurs s’amusent à mettre en scène à leur manière : rien ne se passe jamais comme cela devrait. Bien évidemment, en choisissant de l’évoquer sous la forme de scènes en une planche, l’album ne fait son tour de la question que de façon anecdotique. Il ne faut donc pas en attendre une étude poussée et ce, d’autant plus que les auteurs ne se prennent pas spécialement au sérieux, même s’ils font preuve de certaines connaissances.
Retour vers les années 60
Les amateurs de BD ne manqueront pas de faire le rapprochement avec l’incontournable Astérix et les Normands qui voit des vikings débarquer sur une plage non loin du village gaulois qui résiste encore et toujours à l’envahisseur. Bien entendu, l’approche est ici différente (les auteurs évitent intelligemment des situations qui soutiendraient difficilement la comparaison). Mais elle pourra décevoir les inconditionnels de l’humour de Goscinny et du trait d’Uderzo. En effet, le trait est ici assez grossier concernant les personnages (les paysages font nettement plus d’effet, notamment en mer) et surtout l’état d’esprit diffère sensiblement. Goscinny se délectait de jeux de mots (on se souvient des noms des normands, Grossebaf, Batdaf, Caraf, Epitaf, Bathyscaf, Bellegaf, Complètementpaf, etc. dans la lignée de son génie) et de quelques situations dont il avait le secret, alors qu’ici le scénario mise surtout sur une sorte d’absurde de situation (tendance british), avec quelques effets répétitifs soulignant une certaine bêtise humaine. Ils ironisent beaucoup sur des stéréotypes de comportement, effet à double tranchant (agacement des féministes qui s’arrêteraient au premier degré, amusement de celles et ceux qui verront l’aspect ridicule de ces comportements). La comparaison des deux albums met en évidence la différence d’état d’esprit entre celui qui faisait mouche dans les années 60 (parution d’Astérix et les Normands dans Pilote, à partir d’avril 1966) et un exemple de celui d’aujourd’hui. Question : lira-t-on encore Vikings dans la brume dans un demi-siècle, sachant qu’Astérix reste un monument de la BD franco-belge ? Gageons que les frères Lupano ne voient pas si loin. Ce qui n’empêche pas de penser sur le (plus ou moins) long terme, puisque d’ores et déjà l’album est présenté comme n°1 d’une série dont l’avenir dira jusqu’à quel numéro elle ira.
Critique parue initialement sur LeMagduCiné