J'ai beaucoup apprécié la première partie de l'oeuvre avec son dessin épuré. Au fur et à mesure de la lecture, on est amené à s'interroger sur la question de la prostitution. On suit l'auteur dans sa vie "d'homme qui va voir des prostituées". Que ce soit les pensées du personnage principal, les opinions de son entourage ou encore les scènes avec les prostituées, tout est réalisé de manière simple et le lecteur peut se forger sa propre opinion sur la question délicate de la prostitution. Jusque là tout va bien ou presque. Le problème réside essentiellement dans la deuxième partie du livre.
Le plaidoyer de l'auteur pour la dépénalisation de la prostitution est très bien construit mais a le défaut de partir d'un postulat de départ "naïf": l'idée que toutes les prostituées exercent ce métier par choix. L'auteur base la quasi-totalité de son argumentation sur ce fait et met de côté tout ce qui n'étaye par sa théorie. Mais enfin soyons réalistes. Certes il existe sans doute une part de prostituées qui exercent ce métier de leur plein gré. On ne peut cependant pas écarter le fait que ce n'est pas le cas d'une large part de ces femmes. Nombre de prostituées sont soumises à un souteneur, ce qui transparaît d'ailleurs à certains moments (comme cette prostituée qui se cache le visage avec ses cheveux ou une autre, visiblement réticente, qu'une macrelle force à accepter la proposition de l'auteur). Nombre de ces prostituées sont ramenées d'autres pays par des personnes peu scrupuleuses et se retrouvent contraintes à exercer ce métier (on peut supposer que c'est le cas de cette fille qui ne parle pas un mot de français, qui n'aime pas ce qu'elle fait mais qui le fait parce-qu'elle a un proxénète derrière elle qui lui parle d'ailleurs au téléphone).
Un autre point intéressant à soulever est la naïveté flagrante de l'auteur sur l'univers des prostituées et à propos des prostituées elle-mêmes (en admettant qu'il s'agisse bien ici de naïveté et non de simple perversité). Chester Brow pense-t-il réellement que les prostituées vivent au pays des Bisounours avec une ribambelle de gentils clients tous plus sympathiques les uns que les autres? Il n'est jamais allé voir que des prostituées un minimum protégées, dans des appartements. Les femmes qui travaillent dans la rue lui auraient certainement apporté une autre vision des choses (quoiqu'il en va sûrement de même pour les prostituées côtoyées par l'auteur). Les prostituées ne sont certainement pas si protégées qu'il veut bien nous le faire croire.
Quant à croire sur parole une prostituée à l'allure bien jeune qui vous dit "pas d'inquiétude, je suis majeure" ... Peut-on réellement y croire ne serait-ce qu'une seule seconde? La prostitution des mineures est un fait qu'on ne peut pas nier et la naïveté de l'auteur à ce sujet frôle la perversité.
En résumé, "23 prostituées" est une oeuvre intéressante à lire car elle nous éclaire sur un sujet de société encore trop méconnu et qui pourtant est de plus en plus débattu à l'heure actuelle. La première partie de l'ouvrage est néanmoins nettement plus réussie que le plaidoyer de la seconde partie, plus que contestable à mon humble avis.