Yu-Gi-Oh!
6.1
Yu-Gi-Oh!

Manga de Kazuki Takahashi (1996)

Mais regardez dans sa manche bon Dieu !

Vous savez, il en faut peu pour mystifier un gosse. Une pincée d'onirique, une bouffée de bons sentiments et il se laisse gentiment embarquer par ce que lui sert une intrigue d'où la logique est purgée. Pourtant, tout môme que je fus à l'époque de la diffusion de l'adaptation Yu-Gi-Oh sur M6, mon cynisme prenait déjà le pas sur mon âme d'enfant. Quand Yugi, en position difficile, parlait de l'âme des cartes pour piocher opportunément LA carte qui le sortait miraculeusement de la panade, je savais qu'il avait triché. Avec cette donnée en tête, on ne lit pas Yu-Gi-Oh l'âme légère.


Kazuki Takahashi, qui n'a heureusement aucun lien de famille avec Rumiko Takahashi aurait tout pour séduire. Avec son œuvre, j'entends. Lui, auteur de Shônen, passe par la voie transversale, celle par laquelle on se risque à échouer en tentant le dangereux pari de l'originalité. Son manga ne sera ni un enchevêtrement bastons informes, ni une comédie, ni une romance - Dieu merci - et encore moins un manga sportif. L'initiative est d'autant plus bienvenue que le Shônen Jump est, à cette époque, dans le creux de la vague. Dragon Ball, Slam Dunk et Yuyu Hakushô, c'est fini ; Naruto, Bleach et One Piece, ça n'est pas encore là. Yu-Gi-Oh est advenu à la charnière de l'histoire du Shônen moderne et, si sa renommée ne reposait pas encore aujourd'hui sur ses produits dérivés, il aurait été balayé de la mémoire du plus grand nombre. La chose paraît inconcevable aujourd'hui alors que le manga flotte mollement dans le top 100 Shônen de SensCritique, mais il fut le roi de son époque. Le roi d'une ère qui n'aura pas longtemps perduré mais qui aura été marquée de son sceau.
Takahashi a ça de méritoire encore qu'il eut pour assistant un certain Yoshio Sawai, auteur du méconnu mais désopilant Bobobo-bo-bo-bobo à qui il mit le pied à l'étrier.


Et malgré cela, il est autant de raisons de mépriser Takahashi que de l'encenser. Car, sans avoir été son confesseur, je puis cependant attester sans prendre de gros risques que Yu-Gi-Oh fut entrepris avec les pires intentions du monde si ce n'est LA pire motivation possiblement envisageable, celle qui, selon les nations qu'on occupe, s'estime en dollars, en euros ou en yens.
Vous ressentirez, dès les premiers volumes, le besoin compulsif de l'auteur à vous insérer pléthore de produits dérivés à travers la gorge. Il l'annonçait lui même dans l'édito de son premier tome ; il ne savait pas où il allait en s'engageant dans l'aventure Yu-Gi-Oh. À tâtonner comme il l'a fait au début de son œuvre, Takahashi ne se cherchait pas un style mais un placement.
Tout y sera passé ; des pseudo-tamagochis aux Capsule Monsters, l'auteur aura prospecté le filon et rentabilisé sa découverte la plus fructueuse avec le principe des cartes à jouer pompées sans vergogne mais avec habileté sur Magic the Gathering. Yu-Gi-Oh aurait pu n'être rien d'autre qu'une caution à la vente, un manga qui sert ce qu'il a à vendre plutôt qu'une œuvre originale. Mais s'il est permis de spéculer sur les intentions de Kazuki Takahashi, une lecture de Yu-Gi-Oh et un semblant d'esprit critique suffisent à nous prémunir contre la mauvaise foi ; le manga est bien plus qu'un prétexte aux produits dérivés. Est-ce malgré lui qu'il aura transcendé la lamentable vocation qu'il semblait s'être tracée d'avance ? Je ne sais. Mais son succès - bien que relatif - n'aura pas été usurpé.


Comme rapporté précédemment - mais cette fois sans sarcasme - Takahashi se cherchait un style et, force est de constater que l'atmosphère des débuts, de même que la conception artistique des personnages, n'a plus rien à voir avec ce qui suivra à compter de l'arc de l'île des duellistes. Les premiers volumes, même teintés d'un soupçon d'esprit mercantile embusqué au coin de chaque page, avaient une empreinte qui leur était propre, une fragrance qui n'aurait pu être exhalée par qui que ce soit d'autre ; avant d'être l'histoire d'une aventure impersonnelle joliment mise en scène, Yu-Gi-Oh aura eu son identité. Il l'aura reniée pour un supplément d'âme qui se chiffrait alors en millions, mais il aura existé un court instant en tant qu'œuvre à part.
Avant d'être ce que c'est devenu - et je m'appesantirai sur le deuxième étage de la fusée - Yu-Gi-Oh aura été une œuvre sombre et macabre, ce qui ne pouvait guère que me ravir. Les jeux des ombres tenaient du registre horrifique, chaque partie jouée par Yami Yugi était un tourment sinistre qu'il s'amusait à infliger à qui il jugeait digne de le recevoir. Ce même Yami Yugi qui, plus tard, vomira les plus insanes banalités sur l'amitié et l'âme des cartes (tricheur) aura été l'un des protagonistes de Shônen les plus cruels de tous les temps, perdant d'une courte tête une place au sommet du podium ravie par Violence Jack. Le studio animé chargé d'adapter le manga ne s'y trompera pas d'ailleurs pas en gardant confidentiel cette première partie - supposée honteuse - d'un manga qui, à l'époque, avait du cachet. Pour ceux qui n'auront connu que la version animée, vous n'aurez jamais véritablement connu Yu-Gi-Oh et cela, vous pouvez le déplorer.


En suivant le parcours de l'intrigue, nous serons donc passés de Saw à une publicité pour des céréales. Je nuancerai évidemment ce constat sans le renier pour autant ; il y eut effectivement une dépréciation qualitative à compter de Duel Monsters, une perte néanmoins compensée par un sursaut inattendu de la mise en scène.


Yu-Gi-Oh, c'est l'histoire d'un gentil garçon qui passe son temps à être victimisé mais qui, parce qu'il a un attribut permettant de le démarquer de la plèbe (en l'occurrence, son puzzle du Millénium), réussit à rallier ses camarades autour de lui, y compris ses tourmenteurs d'hier. Un schéma classique qu'empruntera peu de temps après Riichiro Inagaki avec Eyeshield 21.
Il est probant que l'auteur ne savait pas où il allait et cela devait cesser. Même si ses intentions n'étaient pas les plus pures alors qu'il liait le fil de son scénario à celui de Duel Monsters, Takahashi eut au moins le mérite ce jour là de quitter les rangs de l'indécision éditoriale pour se tracer un parcours mieux défini. Yu-Gi-Oh est un paradoxe éditorial ; son identité était d'abord forte mais ne servait aucun dessein scénaristique pour finalement s'engager dans une trame qui élimera ce qui faisait autrefois sa force. Un mal pour un bien, un bien pour un mal ; le manga n'aurait pu continuer indéfiniment sans se doter d'une trajectoire claire. Yu-Gi-Oh était un Shônen nomade qui errait sans but véritable huit volumes durant et qui, une fois domestiqué, remportera les bienfaits d'une œuvre sédentarisée qui, forte de ses assises nouvelles, perdra cependant en personnalité.
On ne peut finalement pas reprocher à Takahashi d'avoir ainsi bifurqué au point de compromettre son style. Il s'était trouvé à la croisée des chemins à devoir choisir entre deux options comportant autant d'avantages que d'inconvénients. Il n'y avait pas de bonne réponse à choisir, mais réponse il se devait d'y avoir. Il a tranché et, malgré les déceptions engendrées à compter de cet instant, peut-être devons-nous considérer qu'il a pris ce jour-là la bonne décision.


Car tout n'est pas à jeter une fois le macabre expurgé de l'œuvre. Ce qu'on goûte alors est certes plus fade, mais il y a toujours à boire et à manger et cette fois, en quantité. Le rendu s'aseptise, se lisse - jusqu'aux dessins autrefois atypiques - mais se structure enfin.
Et puis, ne nous voilons pas la face, la mièvrerie de l'amitié à la sauce Shônen, elle date du premier volume. La nuance est simplement moins patente maintenant que le cap de l'œuvre aura été si violemment dévié.


Yu-Gi-Oh, après huit tomes, ne se sera finalement trouvé qu'à moitié. Ce Shônen, dont les rudiments du combats auront été transposés à des duels de cartes connaîtra ses antagonistes, ses tensions, mais pas de règles encore définies. Le verni de la mise en scène sauve la charpente. Je me suis pris par moments - plus souvent que je ne voudrais l'admettre - à me passionner par ces parties de cartes. Il ne faut pas se mentir, l'œuvre parlera aux nerds (Dieu que je hais ce terme mais aucun autre dans la langue française en dehors de «ringard» ne me paraît adéquat pour désigner ce groupe sociologique), les jeux de cartes et de stratégie, ça n'est pas nécessairement pour tout le monde. Ajouté à cela des enjeux - souvent risibles - mais faisant planer une atmosphère de gravité dont on ne peut facilement s'extirper et alors, chacune de ses batailles de plateau deviennent des combats mémorables. Deux parties ne sont pas interchangeables. Le ressort est toujours le même, le protagoniste est en difficulté jusqu'à ce qu'il mette en place sa stratégie, mais avec les variations d'usage, on trouve toujours le moyen de s'en distraire. Je sais en tout cas que je n'ai pas boudé mon plaisir à la lecture. Un plaisir d'autant mieux renforcé alors qu'enfin, des règles mieux définies et des tactiques plus complexes se mettent en œuvre à compter de l'arc Battle City.
Notez qu'il est très drôle de voir les joueurs faire n'importe quoi avant cela, toute partie de Duel Monsters jusqu'à Battle City n'aura été qu'une inlassable compétition de Kamoulox.


Yu-Gi-Oh tient debout grâce à sa mise en scène et l'abstraction de ses lecteurs à ne pas considérer les trous béants dans l'intrigue. Sans les parties de cartes entraînantes, il n'y a plus rien. Pas grand chose tout du moins. En dehors de l'histoire de Rishid, rien n'aura été véritablement touchant dans tout le déballage. En dehors de cela, les combats s'enchaînent et se poursuivent pour étirer une intrigue bien maigrichonne. On se laisse porter par des combats si mal motivés qu'on préfère ne se raccrocher qu'à eux afin de retirer la meilleure expérience de lecture possible. Se mettre à réfléchir au comment du pourquoi, se demander pourquoi Marik - qui ne répugne pourtant pas à tuer - ne se contente pas de flinguer son monde pour parvenir à ses fins et obtenir les cartes dont il a besoin, c'est se gâcher le modeste plaisir procuré par la lecture.
Parce que les enjeux... on a du mal à les prendre au sérieux du moment qu'une bande de collégiens sauve le monde en jouant aux cartes. Certes, le destin de milliards d'âmes dépendent de leur talent à jouer.... mais aussi en partie des cartes qu'ils seront amenés à piocher. C'est à dire... au hasard.


Ne nous mentons pas, le premier garde-champêtre avec un fusil aurait pu régler l'affaire Rare Hunters entre autres excentricités sans sortir son deck. La plupart des éléments litigieux de l'intrigue pouvaient se régler avec un simple coup de fil adressé à la police. Il ne faut pas prendre énormément de recul pour remarquer que le portrait brossé par Yu-Gi-Oh aura été peint avec une gouache sortie tout droit des intestins de son auteur. Y'a pas d'histoire, y'a l'illusion d'une histoire adressée à ceux qui veulent encore faire semblant d'y croire.


Pour moi qui ne me souciais guère d'autre chose que des duels - car les personnages n'ont rien de plus à offrir que l'intrigue qu'ils servent - j'ai beaucoup apprécié le principe des parties de Duel de Monstres jouées à quatre (surtout sans alliance). Le concept aurait, je pense, gagné à être bien davantage exploité.


Certains lecteurs, à l'usure, pourraient être tentés de dire qu'il y avait trop de duels de cartes dans Yu-Gi-Oh. La remarque équivaudrait alors à se plaindre qu'il y ait trop d'eau dans l'océan. Car Yu-Gi-Oh, n'est qu'un amas de duel de cartes et, le dernier arc entamé, on comprend bien que ce n'est pas pour ses talents de conteur - et encore moins de scénariste - que l'on aura suivi l'auteur jusque là. L'histoire finale n'a d'intérêt qu'en ce sens où on peut lier les protagonistes à des personnages que l'on connait déjà et au Duel de Monstres... mais sans Duel de Monstre. Et force est de constater qu'on s'y emmerde atrocement. Zork a tout du méchant de cartoon très méchant pour la finalité de l'être. J'avais beau trouver stupide le concept du monde sauvé par une partie de carte, l'arc final m'aura permis de relativiser. Ni l'occulte sombre des débuts, ni les Duels de Monstres n'ont plus leur place et, s'étant absentés, ils n'auront laissé derrière eux que poussières et désert.


Et tout cela, paraît-il, se sera agencé à la seule fin de permettre à Yami Yugi de retrouver son nom et de retourner d'où il était venu. Je n'ai pas souvenir qu'il ait si âprement recherché cela jusqu'à présent après avoir perdu son objectif de vue au milieu des méandres de Battle City...mais il fallait une conclusion. Et celle-ci vaut bien une autre en ce sens où elle a pour elle d'être satisfaisante sans non plus bousculer quoi que ce soit dans le paysage. Quant à connaître son nom, je rappellerai qu'il était Pharaon, une simple recherche dans une encyclopédie aurait permis de l'identifier et de nous épargner ces détours ; on aura beau dire, les explications de Ishizu sont vaseuses, son nom est forcément répertorié.
Mais... pardonnez-moi, j'ai réfléchi, ce qui n'est pas une chose à faire quand on lit Yu-Gi-Oh. Aussi longtemps que vous appliquerez ce précepte élémentaire, l'œuvre vous sera agréable à la cervelle. Pas autrement.

Josselin-B
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le 26 sept. 2020

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Josselin Bigaut

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