La séquence du gun barrel sur le thème mythique de John Barry, du placement de produit Aston Martin à foison, des méchants à chat et de l’humour beauf version rosbif – il ne manquerait qu’un Sean Connery ou un Roger Moore et on pourrait se croire revenus quarante ans en arrière. Il y a trois ans, Skyfall remettait les pendules à l’heure – une résurrection par la chute, une réponse d’une modernité affolante aux accusations de sénilité. Le film de Sam Mendes était non seulement le meilleur film de la saga, il s’était surtout instantanément classé comme une référence absolue du genre, un chef d’œuvre de l’espionnage aussi bouleversant sur le fond qu’il était magistral sur la forme. Pour la première fois en un demi-siècle, un véritable cinéaste s’intéressait au cas James Bond ; pour la première fois, il en ressortait une leçon de cinéma.
Autant dire que les attentes étaient élevées quant à ce Spectre. Sam Mendes de retour aux commandes, un casting alléchant et une campagne de promotion exemplaire : le phénomène est bel et bien de retour. Au-delà de sa séquence d’ouverture sidérante de maîtrise, il faut pourtant préciser d’emblée quelque chose d’important à propos de Spectre : il est plus fidèle qu’il n’est ambitieux. En revenant aux fondamentaux, il va sans doute en déstabiliser plus d’un, car ce nouveau Bond est le plus classique de l’ère Daniel Craig. En est-il pour autant le moins réussi ? Marc Forster s’étant déjà chargé de placer un référentiel qui, on l’espère, ne changera pas de sitôt, il était difficile pour Sam Mendes de creuser plus bas. Spectre n’a cependant ni la radicalité d’un Casino Royale, ni la majesté d’un Skyfall.
Timide dans sa construction très calibrée, très sage dans sa manière d’appréhender son icône centrale, parfois facile dans ses dialogues ronronnant ; on est un pas d’appeler ça une douche froide, et c’est pour cette raison qu’il faut tout de même vanter les (très grandes) qualités de ce Spectre. Si l’absence de Deakins à la photographie se fait sentir, Mendes n’en demeure pas moins un réalisateur de talent, et certaines scènes sont de belles démonstrations (la superbe réunion à Rome) ; ajoutés à cela une Léa Seydoux très convaincante (n’en déplaise à certains) et un rythme bien égrainé pendant la très longue durée du film.
Mais ce n’est pas la forme du film qui pose problème, car Spectre est sans doute l’un des chapitres de la saga les mieux mis en scène. Toutes les principales failles du film de Mendes sont davantage liées à son écriture. L’impression d’assister à un « James Bond du dimanche soir », une nouvelle itération reproduisant des codes déjà usés jusqu’à l’épuisement au fil des années. Pas que Spectre soit spécialement mauvais, mais il ne présente aucune caractéristique propre. Et au milieu d’une saga aussi longue, pour faire perdurer le mythe, il est désormais primordial de se démarquer.
Il y a de la même façon cette rencontre inattendue entre la veine très old school de la saga et la modernité, parfois très cruelle, de l’ère Craig qui donne une saveur ambivalente au film. L’humour, beaucoup plus présent, ne semble pas sied à cette ambiance plus sombre et désenchantée développée depuis trois films. Il apparaît presque comme superficiel. Chaque interprète de Bond apportait sa propre personnalité aux films, le visage meurtri de Craig induit un certain sérieux dans le traitement de ses apparitions. C’est par cette voie que James Bond est revenu d’entre les morts, et plutôt que de tirer la corde de la nostalgie, il aurait été plus malin d’embrasser ces nouveaux motifs, toujours présents mais ici presque répudiés par les scénaristes.
Spectre n’est pas un mauvais film, il n’est seulement pas le film qu’on attendait. La production value est superbe – le contraire serait étonnant, vu le budget – et il ne fait aucun doute que Craig manquera à la saga si ceci devait être son dernier Bond. C’est pourtant l’impression d’un pas fait en arrière que laisse cette deuxième tentative de Sam Mendes, l’impression d’essayer de revenir aux temps révolus d’une série de films dont la principale qualité est d’avoir su évoluer avec son temps. La nostalgie peut avoir de l’intérêt, à petites doses, mais en envahissant tous les niveaux du film, elle ne fait que lui donner ce côté déjà-vu regrettable. Serait-ce un mea culpa adressé aux critiques faites depuis Casino Royale, ses suites ayant abandonné progressivement l’esprit bâti par Connery et Moore ? A trop vouloir écouter le fan, on oublie parfois que le public n’a pas toujours raison.