Pas simple de parler de « 120 Battements par minute », impossible de ne pas en parler. Tu sors de la salle sonné dans un silence assourdissant, avec le sentiment de t’être pris une casserole en pleine tête.
J’étais au collège lorsqu’on a commencé à parler de l’épidémie de Sida en France. Nous avions droit chaque année à une petite heure d’explications, à glousser en se passant des capotes. Je me souviens aussi d’images aux infos, de ce préservatif rose sur la Concorde, de ces manifestants couchés par terre dans un silence de mort. Je me souviens des débats dans les lycées à propos des distributeurs (ou pas) de capotes. Il y a eu « Les Nuits Fauves » aussi, ce film de Cyril Collard, le premier à parler crûment des séropo, qui a provoqué en son temps un beau tollé. Nous étions la génération sida et on commencait à se rentrer dans la tête à coups de poings que nous ne pourrions peut-être plus jamais s’aimer sans protection. Mais il y avait du boulot aussi, je me souviens de ce proche multipliant les amourettes et proclamant : « moi je risque rien, je suis propre ». Ce boulot de prévention et de sensibilisation, ce sont les associations qui l’ont largement assuré, pas (ou peu, ou mal) l’Etat. Aids et Act Up.
A l’époque pas de réseaux sociaux pour faire vague, pour dénoncer il fallait y aller, descendre dans la rue, s’efforcer d’attirer les médias avec des moyens percutants quitte à outrepasser ses principes, s’imposer, gueuler pour se faire entendre. Et en amont, s’organiser, désigner des meneurs, débattre. C’est ce que montre de manière incroyablement précise le film (et pour cause, le réalisateur était également militant) en racontant le combat d’Act Up-France, de David contre Goliath, les malades contre les laboratoires, échafaudant des opérations ou des slogans qui marquent les esprits pour alerter, se prenant beaucoup la tête aussi, mais avec toujours un esprit de solidarité et d’entraide, une union quasi sacrée guidée par la colère et l’urgence sur un rythme de musique électro. Et puis au milieu du collectif vient s’insérer l’intime, une histoire d’amour qui ne durera pas, incarnée par des acteurs d’une justesse incroyable (on se souviendra longtemps de Nahuel Perez Biscayart, qui incarne Sean), le processus de la maladie, la mort, le deuil, le tout montré sans filtre aucun, sois prévenu.