Dès les premières images, le mouvement se met en marche tel un flux continu. Tapis dans l'ombre, les activistes d'Act Up s'apprêtent à envahir la scène. Du collectif à l'individu, la mécanique ne fait pas de pause. Peu importe que la Seine ne soit rouge sang que dans les rêves de Sean, l'énergie commune propulse chacun dans l'action et lui donne la force d'avancer encore. Qu'il agisse par révolte, par altruisme ou par désespoir, chaque membre trouve dans le groupe le carburant pour continuer tant celui-ci permet de ne pas rester seul.
Le mouvement construit et porte le film. Tourbillon en constant renouvellement, il mêle lutte collective et lutte intime en créant des ponts, des respirations, des accélérations. Les discussions alternent avec les actions, les échanges personnels, les gayprides, les soirées en boîte. Ce qui pourrait se transformer en insupportable brouhaha s'avère parfaitement limpide, intelligible et passionnant.
Les réunions hebdomadaires se tiennent dans un amphithéâtre. Deux animateurs font en sorte que chacun puisse s'exprimer et laisser les autres répondre : il faut respecter l'ordre du jour et les temps de parole. Robin Campillo place trois caméra dans le décor et filme les échanges en continu. Le montage donne le rythme et intègre le spectateur au cœur de joutes verbales. La justesse du jeu et des dialogues permet de participer aux plans d'action et de mesurer les divergences. Au centre de tout, la force de vie domine, motive, cherche à apprivoiser l'urgence. « Soit tu es en vie, soit tu es mort ».
L'histoire d'amour entre Nathan et Sean prend sa place au milieu du maelström et résonne avec lui. Alors que l'un est séropositif et l'autre non, elle vient questionner les fondements du sentiment amoureux. Nathan aime-t-il Sean parce qu'il a le sida, Sean accepte-il que Nathan s'occupe de lui afin qu'il partage son expérience ? La profonde sensualité de la première scène d'amour, à peine perturbée par l'usage du préservatif, parvient à extraire les deux jeunes hommes de la tragédie ambiante. Après dix ans d'épidémie et d'humiliations, Act Up permet aux malades de reprendre leur destinée en main. Alors que des millions d'homosexuels, de toxicomanes et d'hémophiles sont morts dans l'indifférence générale, s'accorder encore le droit d'aimer et d'être aimer nourrit la lutte collective.
Les téléphones portables et les réseaux sociaux n'existent pas dans les années 90. Pour que les actions soient filmées et que les images soient diffusées, la virulence, l'originalité et la surprise s'avèrent essentielles. La manière de les préparer et de les mettre en scène alimente grandement les discussions, souvent conflictuelles, des réunions hebdomadaires. Il s'agit de savoir à chaque fois de quelle manière Act Up doit se comporter face aux laboratoires pharmaceutiques, aux politiques, à l'Agence française de lutte contre le sida. Si la violence des slogans et la puissance de certains happenings restent encore en mémoire, cela tient à la nature même de la lutte. Leur dimension artistique, graphique et visuelle fournit au film une matière cinématographique et théâtrale qu'il exploite pleinement.
En fusionnant réalité et fiction, travaillant d'après ses propres souvenirs sans chercher à faire le portrait « ressemblant » de ceux qui ont animé l'association, Robin Campillo construit des personnages libres aux destins mêlés. Lui importent alors la ferveur du groupe, ses contradictions et son identité de « famille choisie ». Quand l'un de ses membres s'en extrait parce que la maladie le dévore, la solitude qui s'abat sur lui vibre encore plus cruellement. Du collectif à l'individu, le flux de 120 battements par minute coule, vrille, se tord mais toujours repart.
Vive et rythmée, la mise en scène devient le mouvement qu'elle crée. Fragmentée mais structurée, l'architecture du film superpose de multiples instants de vie dans un ensemble complexe mais harmonieux. Incarnés et présents, jamais broyés par le groupe, tous les personnages existent avec puissance. Réunis en troupe, les comédiens transcendent leurs rôles et nourrissent la matière profondément charnelle du film. Il faudrait énumérer tous les noms, Aloïse Sauvage, Ariel Borenstein, Médhi Touré, Félix Maritaud, Catherine Vinatier ou Saadia Bentaieb au même titre que les premiers rôles, l'extraordinaire et parfois christique Nahuel Pérez Biscayart, le charismatique Arnaud Valois, la toujours épatante Adèle Haenel, le brillant Antoine Reinartz... tous au service d'un film d'une incroyable richesse, puissant, drôle et bouleversant.
En transformant le réel en œuvre de cinéma, Robin Campillo frappe juste. Intrinsèquement politique, son troisième long métrage impose un travail de mémoire sans nostalgie, à l'heure où le management d'entreprise installé au sommet de l'État vise à annuler toute lutte. Il rappelle également combien les actions d'Act Up ont permis de mettre en lumière l'urgence d'agir, de soigner, d'encadrer et simplement de dire. Film de vie, d'amour et de combat, 120 battements par minute brille de mille feux.

pierreAfeu
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le 20 août 2017

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pierreAfeu

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