120 Battements Par Minute est un film puissant, marquant et bouleversant, qui nous prive de mots et où l'on reste, à la fin de la séance, tiraillé entre l'envie de pleurer et d'applaudir. Fresque des années sida, d'une génération sacrifiée et d'une lutte que l'on peinait à faire entendre, ce film retrace le combat de l'association Act Up Paris contre l'épidémie de Sida qui tuait les « pédés, les gouines, les toxicos, les prostitués » en masse dans l’indifférence générale au début des année 90. Mais il n'a pas l'ambition impossible, irréaliste, d'être une reconstitution historique d'une époque, ni même un mémorial sur Act-Up, non, ce film nous parle de réelles personnes, d'une communauté de militants, d'êtres humains de chair et de sang, de leurs amours, de leurs peurs, de leur combat et de leur rage de vivre, face à la mort qui guette, invisible. A l'image des particules de poussière voletant dans l'air au dessus des corps exaltés d'une boite de nuit, dans une scène du film.


Robin Campillo signe ici sont troisième long métrage après Eastern Boy et Les Revenants. Il est sortie en salle le 23 Août 2017, après avoir fait une arrivée retentissante au festival de Cannes où il a remporté 3 prix, dont le Prix du Jury. Avec un montage rythmé qui se partage entre des scènes calmes, comme les réunions et des scènes d'action, comme la scène à Melton Pharm, les 2h30 du film passe sans que l'on s'en rende compte. Ce film est également porté par un casting exceptionnel, qui a révélé au public français le talent du jeune acteur argentin Nahuel Perez Biscayart, qui crève l’écran en interprétant Sean, jeune séropositif et militant infatigable dans sa lutte contre le sida et l’indifférence. Ce personnage est émouvant et attachant, notamment à travers son histoire d'amour avec Nathan, interprété par le brillant Arnaud Valois qui est revenu dans le monde du cinéma pour jouer dans ce film. A l'écran l'alchimie, aussi bien entre les deux acteurs qu'entre les deux personnages, fonctionne à merveille et Campillo réussi le tour de force de faire tomber le spectateur amoureux de Sean en même temps que Nathan. Un superbe travail a également été fait au niveau de la bande original du film, qui est très immersive. Pour la composer l'artiste Arnaud Rebotini s'est inspiré de la musique house des années 90, une musique à la fois entraînante et triste qui reflète bien l’état d'esprit des personnages. Il a également remixé Smalltown Boy du groupe Bronski Beat, un titre qui fait écho, comme le film, aux injustices que subissait la communauté LGBT à l'époque.


Si Robin Campillo réussi à toucher autant les spectateurs et à retranscrire avec tant de justesse ce que pouvaient ressentir les séropositifs et les militants d'Act Up Paris au début des années 90, c'est parce que ce film est en partie tiré des souvenirs du réalisateur, qui était lui même militant à Act Up Paris pendant l'épidémie. A une époque où les traitements contre le VIH n'étaient que palliatif, Campillo nous dépeint une communauté d'activistes qui se jette corps et âme dans sa lutte, n'ayant plus rien à perdre car ils savent que leurs jours sont comptées. C'est aussi une communauté qui doit apprendre à vivre avec la menace de la mort, la leur et celle de leurs proches séropositifs. Robin Campillo nous le montre d’ailleurs dans la scène qui suit la mort de Sean. Mais cette menace pousse les personnages à vivre le temps qui leur reste intensément, le cœur battant à 120 battements par minute, profitant de pouvoir encore aimer, baiser et ouvrir leur gueule. Mais le film est également touchant, parce que dans la deuxième moitié du film, l'histoire devient plus intimiste, passant de la communauté à l'individu avec l'histoire d'amour de Sean et Nathan. Cela permet aux spectateurs de s'attacher et de s'identifier aux personnages et de rendre, avec Sean, la mort des malades plus personnelle et cent fois plus bouleversante.


Dans le film le réalisateur passe sans cesse du romantisme au réel, alternant des scènes très réalistes, comme les scènes des réunions de l'association et des scènes irréelles et contemplatives, comme les scènes de boite de nuit. On remarque également que souvent réel et romantisme se rejoigne, comme avec la représentation du sang. Quand le faux sang dans une baignoire, dans la Seine, sur le visage et dans les locaux de ceux qui, indifférent au sort des séropositifs, ne font rien pour empêcher l'épidémie, devient le vrai sang de tous les malades et de ceux qui sont décédés. Comme le montre le sang coulant du nez de Jérémie, précipitant sa mort, et la poche de faux sang qui explose accidentellement sur Sean, comme une prémonition. Il y a également les poussières voletant dans la boite de nuit qui reflètent la progression invisible du VIH, mais aussi la transmission de l’énergie et de la révolte des militants d'Act Up, qu'ils s'efforcent de répandre autour d'eux. Ces poussières en suspension représentent aussi la vie des malades en suspend et la mort qui guette, une mort qui devient tangible quand les particules en suspend deviennent les cendres de Sean lancées sur des membres de l’État lors de son enterrement politique.


Ce film est aussi un film politique qui montre la nécessité de l'action pour faire réagir et réveiller les consciences quand la parole ne suffit plus. Car comme le dit le slogan d'Act Up SILENCE = MORT. Ce film est inscrit dans son époque mais il fait parfois encore tristement écho à l'actualité. Il montre la nécessité de s'engager contre l'injustice ou pour des causes qui ne manque pas, celles du VIH mais aussi, du féminisme, des droits des minorité, ou de la lutte contre le racisme ou l'homophobie.


J'ai personnellement énormément aimé ce film que j'ai trouvé bouleversant. L'histoire est forte, les personnages attachants et les messages véhiculés sont importants. Je vous le recommande mille fois, allez le voir vous ne serez pas déçu. Ce film mérite largement tout l’engouement qu'il a provoqué. De tout les films que j'ai pu voir jusqu’à aujourd'hui 120 battements par minute est un de ceux qui m'ont le plus ému et touché.

ElaTheve
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le 26 nov. 2017

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Elanore Thev

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