Au XIXe siècle, de nombreux navires sont coulés par un soi-disant monstre marin. Dubitatifs, le professeur Aronnax (Paul Lukas) et son apprenti (Peter Lorre) acceptent d’embarquer sur un bateau afin de confirmer ou d’infirmer l’existence du monstre. Mais ils ne sont pas préparés à ce qui les attend…
L’histoire est connue, très connue, et elle le doit sans doute en partie au film de Fleischer, excellente adaptation du célèbre roman de Jules Verne. Produit par les studios Disney, revenus sur le sol américain après quelques tentatives britanniques de films d’époque en images réelles (L’Île au trésor, Robin des bois et ses joyeux compagnons) qui n’ont malheureusement pas toutes payé, 20 000 mille lieues sous les mers est un phénoménal coup d’envoi à des décennies de films d’aventures qui feront rêver des générations de spectateurs, fruit d'une rencontre évidente entre un maître et son disciple, l'immense Jules Verne et le géant Walt Disney.
Il faut dire que les studios ont mis toutes les chances de leur côté, notamment en engageant Richard Fleischer, pourtant le fils d’un grand rival de Disney dans le cinéma d’animation, qui venait de prouver sa maîtrise du grand spectacle et du format CinemaScope avec un western en 3D (Arena). C’est dire que l’image sera constamment maîtrisée, d’autant que le directeur de la photographie Franz Planer, un vétéran, a côtoyé des grands noms comme Cukor, Ophüls, Dmytryk ou encore Wyler et connaît donc son métier sur le bout des doigts.
Ainsi, le choix du format CinemaScope donne au spectateur une impression d’immersion totale, qu’un format académique n’aurait pas autant permise. Rarement la mer et ses étendues infinies auront été aussi fascinantes que devant la caméra de Fleischer. Visuellement, 20 000 lieues sous les mers est donc un des films Disney les plus convaincants, tant il bénéficie d’un cachet de réalisation bien supérieur aux autres.
Mais la mise en scène aurait été vaine s’il n’y avait rien d'intéressant à filmer, et à ce titre, les équipes techniques des studios Disney se sont plus que jamais dépassées : qui ne se souvient de la forme unique du Nautilus, coup de maître du génial concepteur Harper Goff ? Les décors intérieurs ne sont d’ailleurs pas en reste, et l’on peut dire que l’Oscar qui a été décerné aux décorateurs John Meehan et Emile Kuri est amplement mérité.
Aidé par des effets spéciaux incroyables, qui, aujourd’hui encore, n’ont pas pris une ride (la cultissime scène du calmar, grande leçon de cinéma qui en remontrerait à de nombreux blockbusters), le film de Richard Fleischer tient parfaitement bien la mer, sans jamais prendre l’eau.
Il s’appuie en outre sur un scénario d’Earl Felton auquel il serait difficile de redire quoi que ce soit. Le roman culte de Jules Verne est une source inépuisable d’inspiration, et Felton a su en retranscrire l’essence tout en se l’appropriant de manière à intégrer à la succession de péripéties du roman un fil directeur qui permette de donner une réelle unité de ton au film.
Ainsi, le rôle de chaque personnage est considérablement étoffé par rapport au roman, principalement dans leur relation au capitaine Némo. Magistralement interprété par James Mason, à la prestance magnifique, qui incarne sans nul doute un des méchants les plus emblématiques de toute l’histoire du cinéma, ce dernier a sur le spectateur le même effet de fascination et de répulsion qu’il a sur le professeur Aronnax, auquel on s’identifie avec une facilité déconcertante. Le film a en outre l’intelligence de mettre ces deux personnages en exergue avec les sympathiques Conseil et Ned Land, incarnés par les brillants Peter Lorre et Kirk Douglas, dont l’alchimie fonctionne mieux que ce qu’aucun buddy movie ne réussira à faire par la suite, et ce d'autant mieux qu'ils se voient adjoindre les servies de l'otarie la plus exceptionnelle du monde.
Grâce à ces personnages parfaitement écrits, le scénario porte en lui de belles leçons qui, sans jamais basculer dans le pathos, une belle humanité, comme en témoignent les quelques scènes de dialogue entre le capitaine Némo et le professeur Aronnax, qui illustrent merveilleusement la tension entre deux visions de l'Homme, dont aucune n’est réellement condamnable.
Profondément anti-manichéen, le 20 000 lieues sous les mers de Richard Fleischer se révèle donc un formidable hommage au roman de Jules Verne, nous offrant un très grand divertissement qui n’exclut pas de nous faire réfléchir en même temps que l’on rêve face à la majestueuse infinité d’images dans lesquelles on aura rarement pris autant de plaisir à se perdre…