"Pourquoi 21 nuits avec Pattie? Pourquoi 21?
- A cause de la carte maîtresse du tarot!"
Avec "21 nuits avec Pattie", les frères Larrieu signent un film original, inattendu, élégant, aérien, d'une grande finesse et d'une intelligence rare, surtout en traitant un sujet pour le moins scabreux!
Isabelle Carré, alas Caroline, débarque au fin fond de la Montagne Noire pour enterrer sa mère. Une mère qu'elle n'a que très peu connue, cette dernière ayant confié son éducation aux grands-parents de la petite. C'est donc sans chagrin, juste avec curiosité, que Caroline, 40 ans, mariée et mère de famille, découvre le mas acheté par sa mère pour y finir ses jours. Dès lors, elle nous prend par la main et nous invite à un étrange voyage vers un mas magnifique et immense, niché au creux d'un vallon, à la recherche de cette mère "courant d'air", éprise de liberté libertine. "A la recherche" est le mot juste, puisque sitôt que sa fille est arrivée, le cadavre de sa mère se volatilise! Dernière facétie de la défunte? Rapt pour des raisons obscures ou inavouables? Les hypothèses, de la plus romantique à la plus fantastique, vont bon train, et d'ailleurs jamais nous n'aurons la certitude de ce qui s'est réellement passé. Cette disparition est finalement un prétexte à l'exploration de déviances plus ou moins sexuelles, et c'est là que le scenario aurait pu sombrer dans le sordide, l'inacceptable, l'horrifique. Mais non! L'écriture se fait poétique, pour évoquer ... nécrophilie, ou pire, nécrophagie, et pour interroger les désirs de chacun ...fantasmés ou pas!
Car le temps de cette enfance avec sa mère ( pourtant paradoxalement absente! ) qui lui est enfin dévolu, rendu, Caroline redevient la petite fille curieuse, avide de découvertes, qu'elle a oublié d'être, avec le temps. Isabelle Carré prête admirablement sa fraîcheur et son regard lumineux et candide à cette femme qui s'ouvre à tous les sortilèges de la maison et de la Nature, et côtoie enfin ceux qui ont connu et aimé sa mère. C'est au fond une quête initiatique où elle se réapproprie le goût de chaque chose, à la grâce de ce lieu magique, hanté par l'âme de sa mère, sa présence intemporelle.
Le film tout entier est un hymne à la VIe, une invitation à danser la Vie, d'abord servi par la photographie, splendide, qui rend grâce à la lumière qui baigne le Sud, au soleil qui joue sans cesse entre les feuilles et rend la marche légère, fluide, l'âme comme emportée vers les frondaisons, dans un mouvement d'élévation, magnifiquement saisi par la caméra.
Ensuite, il y a la sensualité incroyable de certaines scènes. Pas des scènes de "c...", pornographiques, non! Les frères Larrieu ne montrent aucune scène de sexe... dans un film où il n'est pourtant question que de sexe, ou presque! Un tour de force! Là où il est question de chair qui vibre sous les assauts du désir ou du plaisir, tout est juste dit, avec une audace confondante et un naturel époustouflant, par Karin Viard, magistrale, ( qui reprend un peu le rôle de nymphomane qu'elle avait dans "Lolo", mais ici, aucune vulgarité ni faux-semblant de drôlerie, son texte est cru ET poétique... si, si, c'est possible! ) et André Dussolier, épatant dans sa peau de vieux dandy trouble et troublant. Ou bien l'émotion charnelle est juste suggérée l'instant d'un plan fugace ( Ah! les cuisses entrouvertes d'Isabelle Carré sur la mobylette, jupe au vent! Même une femme peut en ressentir la charge érotique! ).
Ce film, c'est aussi une ode qu'ont composée les frères Larrieu à leur pays d'origine, cette Aude profonde et secrète qu'ils dévoilent avec amour ( et Dieu que c'est bon de voir un Sud qui n'est pas passé par le prisme caricatural des "parigots"! ). Pour ceux qui ne connaissent pas, nous sommes dans la Montagne Noire, proche de Carcassonne, une région où le vin - une des vedettes du film - a l'âpreté de notre terre et de notre climat ; comme une sève qui monterait à l'âme, il invite à chanter et danser la Vie et à défier la mort. Les accents de l'occitan ont cette musique douce et rocailleuse, dissimulant autant de secrets, comme cette source cachée et mystérieuse où les initiés vont se baigner et où Caroline fera l'apprentissage de la nudité en plein air et renouera avec ses désirs enfouis.
En prime, il y a le rôle éphémère mais saisissant de Denis Lavant, renversant! Et la présence évanescente de Mathlde Monnier, qui incarne cette morte toujours amoureuse, fantômatique conciliatrice et finalement guide spirituel. La danseuse et chorégraphe ( ex directrice du Centre National Chorégrapique de Montpellier ) prête sa silhouette éthérée à une improbable "danse macabre" joyeuse, un pied-de-nez rieur à la mort, comme si elle voulait, en voyageuse infatigable, transmettre le flambeau de la vie, au-delà de toutes les frontières, au-delà de l'Invisible.
Car c'est bien de cela qu'il s'agit : d'une oeuvre qui interroge le corps pour mieux atteindre à l'âme, d'un cheminement spirituel qui se construit au fil du sensuel, de la conciliation de tous les possibles dans une poésie exacerbée... L'Arcane 21 en est le symbole, la lame la plus bénéfique du tarot, celle qui assure la complémentarité indestructible entre l'intérieur et l'extérieur, le féminin et le masculin, le matériel et l'abstrait... celle qui résume , qui résout, le mystère divin et le don le plus éclatant qui puisse se concevoir pour l'Etre, la Vie.
C'est à ce mystère-là que nous convient les frères Larrieu et en cela leur opus est une oeuvre littéraire et spirituelle à la fois, bien loin d'une simple déclinaison plus ou moins simpliste sur le sexe.
Valerie_Favier
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le 6 déc. 2015

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Valerie Favier

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