Dans les foulées d’une course folle sur le sable fin au soleil de The Beach, Danny Boyle et Alex Garland donne un nouvel angle à leur collaboration : des enfers inattendus au cœur du paradis à celui qu’on se construit au cœur même de l’enfer, les deux auteurs changent radicalement d’ambiance sur le spectre des genres cinématographiques et s’attaquent à
la résurrection des morts-vivants.
Le réalisateur écossais redonne alors un souffle moderne aux râles décharnés d’un sous-genre de l’horreur jusque-là confiné à des schémas roboratifs calqués sur les chefs-d’œuvre de George A. Romero. 28 Days Later, budget léger, tournage Dv, mais l’empreinte graphique du cinéaste au rythme de la dissection morbide et crue des avidités mâles.
Danny Boyle joue la fin du monde dans la forme dès l’ouverture en remplaçant intelligemment sa traditionnelle voix-off par les images compilées sans commentaire de reportages télévisés dans le chaos de ce qui ressemble d’abord à des émeutes avant qu’y regardant de plus près, on y distingue la rage et le sang : le pays entier est la proie de zombies affamés. Et rapides.
Dans un sombre laboratoire, trois activistes viennent libérer les cobayes mais ne trouvent pas, dans le regard des primates, la reconnaissance attendue, loin de là.
Jim émerge du coma dans hôpital désert, se fraye un chemin au silence pesant jusque dans la ville vide : Londres sans une âme qui vive. Seuls y résonnent les cris effrayants d’animaux barbares. Ça ressemble à des hommes mais toute leur conscience se concentre dans la faim.
Pas de gouvernement, pas d’armée. Pas de télévision. Pas de radio.
Dans une première partie qui fait la part belle au graphisme urbain, avec l’intelligence légère du choix numérique alors à ses premiers balbutiements, l’auteur britannique sublime une fin du monde étouffante de silence, offre la visite aussi belle qu’inquiétante d’un Londres déserté à la suite d’une pandémie et rythme l’ensemble à l’apprentissage difficile des nouvelles règles de survie qui désormais régissent ce qui s’apparente plus à l’ultime chance d’un lendemain qu’au dérèglement du quotidien : l’adaptation requise est brutale, la déflagration sans préavis.
Survivre est devenu notre raison d’être.
Rapidement, Danny Boyle déménage les carcans du genre. Pas question d’attendre sereinement que la menace décime. L’équilibre social des petits groupes où Jim avance est en constant balancement. Il faut quitter la ville, trouver un lieu où s’abriter, rejoindre d’éventuels survivants. Quelques séquences de road-movie où l’homme aux aguets s’organise, recul géographique aidant, fait face et survit, au sens psychologique littéral : s’extirpe de ses cauchemars pour affronter la réalité. Refuge trouvé, il faudra affronter
le chaos humain :
face à l’urgence la sécurisation semble de mise, un certain totalitarisme est accepté, solution la plus évidente. Les auteurs ont pris soin de n’emmener qu’une ossature fragile dans la gueule du monstre : proies faciles et évidentes, un groupe d’hommes envisage enfin l’avenir dans les courbes préservées des deux femmes derrière lesquelles Jim tente encore de se réveiller.
Fidèle à ses obsessions de
la mécanique humaine dans l’extrême,
Danny Boyle élargit les horizons bouchés du film de zombies, dédouble l’ennemi au-delà du virus en scrutant, légèreté numérique du microscope, le loup avide tapi dans les yeux sauvages de l’homme, contaminé ou non. La survie n’est que l’urgence mais dans le lugubre combat, là où la submersion menace, l’esprit faible a besoin de se raccrocher au-delà. La luxure guette, récompense malsaine, sadique. La galerie de personnages, famille déséquilibrée entre le confort bourgeois sans saveur de l’apocalypse et les ravages psychologiques de l’abandon sauvage au-delà du supportable, fait rayonner d’ombres
l’éventail sordide des bas-instincts mâles d’assouvissements primaux.
L’on pourra arguer que 28 Days Later est plus un film de contamination que de zombies. Si la base narrative est bien celle du virus, les symptômes de l’épidémie ne prennent aucun détour :
rage folle, instinct affamé, contamination sanguine
dans la violence de morsures et de chairs déchiquetées. Le reste, c’est l’étude humaine dans l’allégorie sociétale, rien de nouveau sur le fond sinon l’angle aigüe sur la dérive inévitable des consciences mises à l’épreuve et des corps, derniers remparts tangibles d’une survie nerveuse, frénétique. C’est, comme souvent avec Danny Boyle, la forme qui innove. Ce choix d’abord, d’un genre alors obsolète, remis au goût du jour avec
un sens profond de la narration sur le rasoir.
Et la signature de l’auteur, au plus près d’un personnage incertain qui n’opte pas souvent pour le bon chemin. 28 Days Later ouvre la porte, dix ans plus tôt, aux Walking Dead de Robert Kirkman, et avant ça au film de zombies moderne. Dans le respect initial de la trame classique – les survivants s’organisent en semblant de société, affrontent l’horreur réfléchissante de la mort tangible – le réalisateur écossais déplace le rythme de la narration le long d’un chemin autant géographique que psychologique, et ajoute cet ennemi qui n’est pas le monstre mais l’homme, l’ami qui se tient à côté du héros.
Danny Boyle viole le genre pour engendrer d’un
hybride moderne, aux profondeurs consciencieuses,
dans un clip d’horreur primale qui fait le contraste extrême entre le bien et le mal révélés dans le dérèglement incontrôlable des comportements sociaux, de la civilisation.